[T] Comptes à rendre. [Dorian]
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 [T] Comptes à rendre. [Dorian]

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Christos Anthony.
Christos Anthony
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MessageSujet: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptyLun 30 Aoû - 11:12

    [T] Comptes à rendre. [Dorian] 16-012 [T] Comptes à rendre. [Dorian] 004bkdxg
    Les premières lueurs du jour obligèrent Christos à ouvrir un œil. Négligemment étalé sur sa couche, un bras pendant dans le vide et l’autre agrippé sur une fine couverture de laine, l’athénien mit du temps à se souvenir des évènements de la veille. Son visage lui faisait souffrir le martyr, ce qui était bien étrange… Il se leva du mieux qu’il peut et, chancelant, se dirigea vers la cour, une main en visière pour éviter les rayons solaires. Ses doigts effleurèrent rapidement son œil gonflé ; un cocard. Par Athéna, avait-il été frappé hier ? D’ailleurs, qu’avait-il fait la veille ? Il se rappelait vaguement avoir participé à la fête que donnait un ami pour célébrer son futur mariage, mais cela ne lui expliquait pas cette stupide blessure et encore moins cette amnésie. Christos avait sûrement abusé du vin et des réjouissances, pour ne pas changer ses habitudes… Il poussa un soupir agacé avant de lever les yeux au ciel et de tourner les talons. Son mauvais train de vie n’était pas le meilleur qui soit, il en était conscient ; cependant, il ne cherchait pas à se calmer. Il était satisfait de sa situation. L’athénien formulerait quelques prières aux dieux afin qu’ils lui pardonnent sa conduite, histoire de soulager sa conscience. Christos trébucha contre une amphore renversée, probablement un souvenir qu’il avait dû ramener de la fête prénuptiale de son ami. Voilà bien des manières de débuter sa journée : en ivrogne. Quoi de plus élégant ? Se retenant de maudire hasardement un dieu, le jeune grec continua son chemin en espérant ne pas rencontrer d’autres obstacles. Il était censé aller au marché, la nourriture commençant sérieusement à manquer. Cette pensée le fit grimacer…
    « Escl… Hum, Dorian ! » Appela-t-il, exaspéré. Le jeune homme qu’il demandait était son esclave. Effectivement, le gymnète avait son serviteur particulier, malgré son manque évident de moyens. Il était enfoncé jusqu’au cou dans la pauvreté, sans parler des dettes qu’il devait à Dorian. Si vous payiez quelqu’un une fois tous les quatre mois, esclave ou non, il était évident que cela ne relevait plus du retard mais de la dette. Seulement, est-ce qu’un être aussi fier que Christos trouvait juste qu’un non-citoyen d’Athènes, qui était sous ses ordres, demandait un salaire plus régulier ? Cette question n’appelait pas de réponse, sachant que le gymnète s’en moquait éperdument. Tant qu’il n’affranchissait pas Dorian, il avait tous les droits sur lui. Cependant, il n’avait pas à se plaindre de ce larbin, qui se montrait docile malgré le manque total de respect de son maître. Christos ne connaissait que cette qualité chez lui, rien de plus. Il en oubliait parfois son nom, mais se souvenait toujours de la soumission dont il faisait preuve. « Il faudra que tu ailles au marché, tout à l’heure. Prends le strict nécessaire et ne va pas chez cet escroc de Publius… Ses fruits sont infects et il me doit de l’argent. » La version exacte était : j’attends de me faire rembourser par ce voleur, et je ne le lâcherais pas d’un cothurne. Toutefois, le charlatan n’était pas impatient d’éponger son dû, ce qui agaçait prodigieusement Christos. Il espérait qu’Hadès l’engloutirait dans les limbes de l’Enfer, là où était sa véritable place. Ayant besoin de cet argent manquant, le soldat se sentir obligé de retenir l’esclave. « Non, attends. Je viens avec toi aujourd’hui. » Il joignit les gestes à la parole en s’avançant vers la porte d’entrée. Ce serait une première pour ce légendaire paresseux ! Habituellement, il confiait tout ce qu’il devait faire à Dorian, que ce soit important ou insignifiant. Il préférait mille fois se promener et s’amuser dans la cité plutôt que de se soucier des tâches qu’il avait à effectuer… Il partait souvent au lever du jour et revenait tard le soir, voire pas du tout. Personne ne savait ce qu’il faisait de ses journées, à écumer la ville et ses alentours, comme s’il n’était qu’un simple étranger partant à la découverte de sa nouvelle cité.
    Athènes se levait tôt. Déjà, les grecs sortaient de leurs demeures et les commerces s’ouvraient doucement. L’agitation devenait palpable dans le quartier. Les enfants jouaient, leurs mères parlaient entre elles, les hommes s’attelaient à parler affaires… Le regard brun de Christos ne laissait rien au hasard. Bien que se rendre au marché à cette heure si matinale relevait de l’effort colossal, il ne détestait pas observer le réveil d’une ville. Cela lui rappelait son enfance, lorsqu’il s’asseyait sur une colline avec sa sœur, simplement pour contempler une ville en pleine agitation. Il chassa rapidement ses pensées en arrivant au marché, grouillant de grecs. Des soldats rendaient la justice au nom de Dicé, les glaives étincelant au dessus des poignets de voleurs, les femmes comparaient les étoffes, de nouveaux marchands vantaient la qualité de leurs produits, d’autres s’installaient à peine… « Je déteste le marché… » Maugréa de mauvaise grâce Christos.
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Dorian Fabius.
Dorian Fabius
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MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptyLun 30 Aoû - 17:18

    Le jour n’était même pas encore levé que Dorian était déjà réveillé. En réalité, il n’avait pas réussit à trouver le sommeil. Allongé sur ce qui était son lit, une sorte de vulgaire tas de paille avec une couverture qu’on avait bien voulu lui prêter, il regardait le plafond immaculé. Les bras croisés derrière sa tante, il attendait en soupirant que le matin veuille bien pointer le bout de son nez. Même si sa condition d’esclave n’était pas la meilleure, au moins, lorsqu’il faisait jour, il avait de quoi s’occuper. Or, pour le moment, tout ce qui occupait son esprit étaient des pensées. Des pensées libres et trop envahissantes. Toute la soirée, il n’avait fait que tourner et tourner, changeant de positions toutes les trente secondes les yeux fermés pour tenter de dormir. Mais rien. Toujours là à penser.

    Finalement, le jeune romain s’assit sur sa paillasse et attendit patiemment que les premières lueurs de l’aube apparaissent. L’aube d’un nouveau jour de travail. Pourquoi travailler pour un athénien aussi fainéant et aussi arrogant ? Déjà, peu payé, il faisait des tâches bien souvent plus difficiles que lorsqu’il habitait encore à Rome. Pourquoi restait-il là déjà ? L’argent était sa priorité pour retourner à Rome et ensuite s’émanciper de son oncle. Peut-être même pourrait-il dire à sa tante de venir s’installer ici. Même s’il avait du mal avec ses cousins et sa cousine, du moment qu’il puisse leurs assurer un bien meilleur avenir, pourquoi pas ? Mais pour l’instant, le temps, c’est de l’argent. Et l’argent… Il fallait l’avouer : il n’en avait pas beaucoup. Surtout qu’il n’était pas beaucoup payé. Mais au moins, il n’avait pas à se plaindre ; pour le moment, on ne le battait pas à mort. Peut-être était-ce cela qui le poussait à rester. Même traité en esclave, qui plus est, un esclave étranger, au moins, on ne lui faisait pas violence.

    Dorian leva les bras vers le ciel avant de joindre ses mains pour s’étirer. Ses yeux se plissèrent , ses os craquèrent. Il laissa ses deux membres retomber ensuite lourdement contre la paillasse. Le romain serra le poing : il devait se motiver ! Rien ne pouvait l’empêcher d’accomplir ce que le Destin et les Dieux avaient prévu pour lui ! Par Jupiter, il y arriverait !

    Bien décidé à faire que cette journée se passe au mieux et qu’il puisse gagner un peu d’argent, il se leva, s’habilla et se passa un peu d’eau sur le visage. Il passa une main dans ses cheveux châtain, les ébouriffant doucement pour leurs donner un peu d’aspect, puis sortit dans la cours. Dorian jeta un coup d’œil vers les appartements de celui qui était désormais son maitre. En rentrant la veille, il avait fait tellement de bruit qu’il crut que les demeures voisines viendraient se plaindre. Christos avait lancé quelques insultes à ses Dieux Grecs avant de tomber ivre mort sur sa couche. Dorian avait dû étouffer un rire pour ne pas se faire insulter lui aussi. La soirée avait été drôlement comique. Sauf lorsque le jeune esclave avait dû nettoyer ,avant d’aller se coucher, les dégâts que Christos avait fait.

    Prêt à ranger un peu la demeure, Dorian commençait un peu à faire le ménage. Peut-être même devrait-il commençait par préparer de quoi manger. Mais lorsqu’il se hâta pour préparer quelque chose, il semblait que les fruits, les légumes et la viande manquaient. Il restait à peine de quoi faire un déjeuner ; un peu d’orge et du raisin. Réfléchissant à ce maigre menu, Dorian se frotta le menton. Mais la voix de celui qui l’employé retentit à ses oreilles et le fit sursauter. Il se dépêcha sans réfléchir davantage et se rua dans la cours. Posté face à son maitre, il se courba légèrement pour ne pas à le regarder droit dans les yeux, écoutant attentivement chaque indication. Dorian se mordit la lèvre inférieure. Bien sur que non il ne pouvait plus acheter à Publius quoi que ce soit. En plus de devoir de l’argent à Christos, ses fruits étaient réellement immangeables… D’ailleurs, la dernière fois, c’est lui qui dû finir une pêche. Plus jamais. Manger les restes, il l’avait déjà fait. Fouiller les poubelles afin de pouvoir se nourrir, il l’avait fait. Mais manger des fruits aussi dégueulasses, c’était une expérience à ne pas renouveler. Il plissa le nez et acquiesça lorsqu’il eut finit de parler. Il se mit en route avec le peu d’argent dont il disposait.

    Des bruits de pas et une voix claire s’éleva ; le maitre avait-il décidé de le suivre aujourd’hui ? Dorian fut tellement surpris qu’il se retourna vers lui, s’arrêtant un instant de marcher pour le regarder d’un air ébahit. Pour ne pas perdre le rythme de la marche, il se remit en route en secouant la tête avec un léger sourire. Ce genre de moments étaient à apprécier : ne pas voir Christos affaler sur son divan, c’était d’une telle rareté que c’en était presque agréable. Dorian espérait juste que ce dernier ne se mette par à hurler sur le marchand et qu’il se batte avec lui comme il avait dû le faire la veille pour obtenir un bleu pareil au-dessus de la joue.

    Mais peu importait. L’heure était à trouver un commerçant digne de ce nom et surtout, trouver de quoi bien manger ! Ils commencèrent à arpenter le marché à la recherche de quelque chose qui en vaille réellement la peine. Se penchant pour examiner tout les produits, Dorian ne semblait pas se décider avec le blé et des épices orientales.

    Beaucoup de personnes appréciaient le marché ; moment de rencontres, de troque en tout genre pour obtenir au plus bas prix des achats exquis… Sauf que pour une fois, Dorian semblait être tout à fait d’accord avec Christos ; il détestait le marché. Tout ce monde lui donnait le tournis. Il dût faire un effort monumentale pour continuer à avancer dans la foule sans s’évanouir. L’air semblait de plus en plus lui manquait et des petites gouttes de sueurs commençaient à parler le long de ses tempes. Le romain se pinça les lèvres. Les ennuis ne faisaient que commencer : à force de se frayer un chemin dans la foule, ils tombèrent nez à nez avec l’escroc qui se prétendait marchand. Dorian déglutit en jetant un bref coup d’œil sur son maitre. S’il se mettait à hurler en cherchant à obtenir son argent, il ne faudrait pas moins d’une minute avant que toute la foule ne jette des regards dans leur direction. Il ne faudrait pas moins d’une minute avant que le jeune romain ne fonde de honte au soleil.

    D’ordinaire peu tactile, là, il devait faire quelque chose pour contenir la colère sûrement grandissante de son employeur . Il agrippa l’étoffe de Christos sans le regarder et murmura assez fort pour que lui seul l’entende :

    « - S’il vous plait… Aujourd’hui, il y a du monde… Si on vous entend… On va se faire remarquer. »
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Christos Anthony.
Christos Anthony
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MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptyMar 31 Aoû - 9:22

    S’il n’avait pas besoin d’argent, Christos n’aurait certainement pas assisté Dorian. D’habitude, il n’allait pas réclamer ses dettes en public, au marché de surcroît, mais la situation l’y forçait : un fourbe lui devait l’équivalent de ce qu’il devait lui-même à son esclave, autant faire d’une pierre deux coups. L’athénien ne roulait pas sur l’or, nul ne l’ignorait. Pourtant, il faisait plus ou moins preuve de bon esprit s’il avait une dette à éponger, il n’avait pas si mauvais fond que cela. Christos ne décrochait pas un mot à Dorian et se contentait de vérifier, avec quelques œillades jetées derrière son épaule, s’il le suivait. Sait-on jamais, le romain – sans doute le plus mal payé d’Athènes – aurait eu des raisons de vouloir s’échapper ou il ne savait quoi d’autre ; combien d’esclaves avaient été punis en flagrant délit de fuite ? Malgré tout, Dorian lui emboitait le pas, la tête haute. Décidément, cet étranger continuait de le surprendre… Christos ne s’attarda pas sur les raisons qui faisaient que son esclave reste sous sa protection – un bien grand mot, d’ailleurs – et pressa l’allure lorsqu’il aperçut enfin le maudit commerçant, dont les produits lui incommodaient l’odorat. L’escroquerie était monnaie courante au marché, comme partout ailleurs, et les dieux seuls savaient à quoi étaient prêts les marchands afin de vendre leurs biens. Cependant, l’athénien avait un père qui s’était aussi aventuré à leurrer ses acheteurs ; Pallas n’était pas le meilleur exemple d’honnêteté grecque.

    Hâtif, il entendit à peine le sage avertissement de Dorian, qui lui conseillait de ne pas faire éclater de scandale. Christos fit volte-face afin de toiser son esclave, lui intimant silencieusement de se taire s’il ne voulait pas être le deuxième scandale de la matinée. Peu patient, le jeune homme ne craignait pas d’élever la voix sans chercher à s’arranger ; c’était même sa façon de procéder. Il s’accouda contre l’étal de Publius, le regard coulant sur le vulgaire empilement de fruits. Le marchand grec n’était pas le seul à mentir sur la qualité de ses produits, mais il avait eu le malheur de vendre des cochonneries à Christos. « Tu me dois trois drachmes, et estime-toi heureux que je n’exige pas un dédommagement… » Piqué au vif, l’interpellé répliqua qu’il n’accordait pas de remboursement. Une réaction typique, rares étaient ceux qui acceptaient de rendre de l’argent. Après avoir jeté un coup d’œil derrière son épaule, l’athénien tendit brutalement le bras au-dessus de l’étal et saisit l’escroc par son exomide afin de l’attirer prêt de lui. « Trois drachmes, et je ne reviens pas. » Siffla-t-il simplement, en se retenant de rendre le règlement de comptes public. « C’est malvenu de ta part, ton père avait aussi ses méthodes pour vendre… Tu dois être bien mal loti, pour demander trois misérables drachmes. » Christos détestait être associé à son paternel, ils n’avaient plus rien en commun. Pour certains, c’était un honneur d’être associé à son père, mais pour le jeune homme, c’était bien pire qu’une dette en retard… C’était une insulte. Mis à part le physique, ils étaient aussi différents que le jour et la nuit. Quelque chose roula sur la table. L’athénien baissa le regard et vit trois malheureuses pièces faire un tour sur elles-mêmes avant de retomber. Il lâcha brutalement Publius et saisit l’argent sans se faire prier. « J’espère qu’Hermès coulera ton commerce. » Grinça-t-il avant de tourner les talons… avant qu’il ne suspende son geste. Restant face au marchand, il se dirigea de nouveau vers lui afin de donner un coup dans son étal, causant la chute d’une des piles de fruits.

    « On y va. Et prends ça. » Annonça Christos en revenant vers Dorian. Il lui tendit la monnaie, conscient que ce pauvre salaire ne valait même pas une semaine de services… Mais pour rien au monde le soldat n’affranchirait ce romain, même s’il se retrouvait à la rue. Il était vraiment trop orgueilleux pour libérer un esclave. Beaucoup trop. Peu bavard, l’athénien reprit son chemin comme si de rien n’était. Il avait attiré quelques regards curieux en s’en prenant ouvertement à un commerçant, qu’importe. Il avait récupéré de l’argent mal dépensé et « payé » Dorian avec, ce qui était un bon compromis. Tout en inspectant quelques légumes, il envoya un coup d’œil au romain, toujours aussi docile, sérieux et silencieux. Par Athéna, c’en était presque suspect qu’il agisse ainsi, sans réclamer quoique ce soit, sans se plaindre… Christos aboyait plus qu’il ne parlait à son esclave, mais ce comportement l’exaspérait comme l’intriguait. Une question lui brûlait les lèvres, tandis qu’il reposait une carotte. « Pourquoi te contentes-tu du minimum alors que tu pourrais et devrais avoir plus ? » Interrogea-t-il, les sourcils froncés. Il avait payé le romain très cher, sans doute était-ce le meilleur investissement qu’il avait fait au cours de sa vie. C’était un esclave pour les riches, pas pour un pauvre soldat pouvant vivre un mois durant sans un sou. Seulement, l’athénien ne reconnaîtrait jamais cela. « Mais je ne t’encourage pas à demander le double de ce que je te dois. » Lâcha-t-il sur un ton de dédain, afin que sa question ne soit pas– en apparence – interprétée comme de un intérêt soudain sur la personne du romain – bien que cela l’était.
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Dorian Fabius.
Dorian Fabius
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MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptyMar 31 Aoû - 18:28

    La scène était tellement prévisible que Dorian ne put que baisser la tête, attendant que la mauvaise humeur de son maitre passe. Sa main avait glissé sur le tissu de Christos tellement vite que sa peau le brûlait légèrement. Demander de l’argent, comme ça et devant tout le monde… Tout le monde. Oui, tout le monde les regardait, les épiait, attendant qu’un combat commence entre le client et le marchand. Mourir de honte, était-ce réellement possible ? Pourtant, s’il aurait pu, il serait réellement mort. Le jeune romain n’en revenait pas : comment l’athénien faisait-il pour garder la tête haute fasse aux regards des autres ? Comment faisait-il pour posséder autant de force et un tel pouvoir de domination sur les autres ? Christos réclama son argent et il l’obtint.

    Jetant de brefs regards sur les côtés, Dorian se sentait pâlir de plus en plus. Toute cette foule qui commérait, qui pointait du doigt en émettant toutes sortes d’hypothèses… C’en était trop. Il fallait partir. Et tout de suite. Mais il ne pouvait rien exiger, il ne pouvait pas se mettre à hurler qu’il suffoquait avec cette masse pensante tout autour de lui. La sueur sur son front ne faisait que redoubler et il dut faire un effort monumentale pour ne pas vaciller. Sa vue commençait à se troubler ; ce n’était pas bon signe. Ce genre de crise d’angoisse, il en avait eut tellement de fois que ça lui paraissait désormais… Normal. Déjà que la scène que Christos faisait à Publius le rendait aussi honteux qu’être un esclave soumis, en plus, le jeune maitre n’en faisait qu’à sa tête ; après avoir maudit le vieux marchand, il démolit d’un coup de pied son étalage. Dorian sursauta en écarquillant les yeux. Mais à quoi jouait-il ?! C’était de la folie ! Même si, après ce que le vendeur avait osé dire, il le méritait amplement, ce n’était pas une raison pour agir de la sorte. L’esclave pinça les lèvres en baissant la tête et en levant les yeux vers l’athénien. Ce dernier semblait furieux et s’avança vers son esclave. Durant un dixième de seconde, Dorian crut que c’était la fin de sa misérable vit. Retenant son souffle, il plissa les yeux en l’attente d’un châtiment, mais au lieu de ça, Christos lui tendit les trois drachmes qu’il avait soutiré à l’escroc. Sans attendre et sans plus réfléchir, il prit dans le creux de ses mains les trois pièces.

    Intérieurement, Dorian criait de joie. Un léger sourire vint s’afficher su son visage lorsqu’il serra les précieuses pièces dans sa main. Il s’empressa de les rangeait à l’intérieur de l’une de ses poches et suivit son maitre en acquiesçant.

    La visite du marché ne faisait que commencer et ils continuaient à arpenter les étalages à la recherche de quelque chose de bon à manger. Des prunes, des carottes, de la salade, des épices venu du bout du monde et autres saveurs qui semblaient être parfaitement inconnues pour le jeune homme. Se penchant sur chaque ingrédient, il fronçait les sourcils ou les haussaient suivant la découverte qu’il faisait. Ce n’est pas pour autant qu’il ne restait pas derrière son maitre qui s’amusait à regarder quelques produits. S’amusait, s’amusait… C’était un bien grand mot… Christos se moquait de faire le marché comme de son premier verre de vin. C’était amusant de le voir faire semblant de s’intéresser à quelque chose alors qu’il s’en moquait éperdument. Est-ce que Dorian l’intéressait, l’intriguait ? Ou faisait-il semblant ?

    Désormais face à face, la question du jeune maitre restait en suspens. Mais de suite après, il enchaina avec un « ne pense pas que je dis ça pour m’intéressait à ta vie ». Le jeune Dorian pencha la tête sur le côté. Que répondre ? Bien sur qu’il pourrait être mieux payé avec un maitre plus riche. Mais être un esclave, on ne le choisit pas réellement… Même s’il aurait pu se rebeller et éviter ça. Pourtant, il était là, à marcher, à faire le marché à ses côtés.

    Le romain baissa la tête et soupira fortement en haussant les épaules. Comme il n’avait pas trop l’habitude de parler mais surtout, l’habitude qu’on lui donne l’autorisation de parler, il ne s’éclaircissait la gorge rarement, ce qui accentuait sa voix grave :

    « - Peut-être que cela me convient… Maitre. ».

    L'esclave entrelaça ses mains dans son dos et baissa la tête juste assez pour ne pas voir les yeux de son employeur. "Maitre". Un mot qu'il n'avait pas forcément l'habitude d'employer et pourtant, cela ne sonnait pas faux dans sa bouche. Mais le sortir lui avait presque écorché les lèvres. Combien de fois avait été-t-il obligé de le dire à son oncle en exécutant une tâche pénible pour ses mains d'enfant ? Il soupira de nouveau, chassant l'air de ses poumons comme les pensées qui submergeaient sa tête, avant de s’approcher des carottes. Ça, au moins, c’était du produit frais. Dorian se mit soudainement à sourire. Chritsos avait-il au moins pensé à prendre de quoi payer ?
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Christos Anthony.
Christos Anthony
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MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptyMer 1 Sep - 10:02

    Maître. Cette désignation lui plaisait tellement. À chaque fois qu’il l’entendait, Christos se sentait puissant, invincible, et pouvait se targuer de garder la tête haute et l’air fier face aux plus riches athéniens de la cité. Bien sûr, il n’avait absolument rien d’un « maître », socialement ou financièrement ; voilà qui suffisait à attirer quelques remarques narquoises sur sa façon de vivre. Il refourguait ses maigres tâches à un autre, en se contentant d’un salaire de soldat pour assurer la paie d’un autre et ses propres besoins. Pourtant, il ne se souciait guère de ces difficultés, trop heureux que le romain se contente de si peu pour rester sous son toit. Il prêta à peine attention au malaise de Dorian face à sa réaction démesurée, et ne remarqua pas non plus l’empressement de ce dernier lorsqu’il lui tendit une bien modeste part de son dû. Christos n’était pas égocentrique, contrairement aux rumeurs qui le prétendaient, mais ce serait mentir d’affirmer qu’il était attentif et attentionnée envers les autres. Il s’occupait uniquement de son entourage proche, exception faite pour le romain qui partageait son logis. Il pouvait oublier sa présence, l’ignorer ou le regarder avec mépris, c’était du pareil au même. Cependant, Christos nourrissait une certaine curiosité vis-à-vis de Dorian, sans se l’avouer. Il était normal de se poser des questions quand un esclave, bien bâti et méritant bien plus qu’une vulgaire paillasse dans une modeste demeure, restait à vos cotés sans se plaindre d’aucune sorte. « Cela me convient » frappa le jeune grec. Une telle réponse le laissa silencieux, créant un vague malaise. Il avait perçu un semblant d’automatisme, cela ne lui semblait pas honnête. Il avait l’impression que le jeune homme s’était attendu à cette éventuelle question, et en avait préparé une réplique plus ou moins plaisante à entendre. En même temps, il ne s’était pas non plus attendu à ce que son esclave n’en profite pour se plaindre, ce serait bien naïf. Inconsciemment, Christos ne put s’empêcher de répondre du tac au tac « Pourquoi ? ». Ce mot avait été soufflé, tandis qu’il observait un étalage de pommes. Il ne désirait pas le piéger, loin de là, sa réponse était aussi machinale.

    « Mettez m’en quelques unes. » Son poing fermé toquait contre la table bois, faisant cliqueter quelques pièces s’y trouvant. Il aurait eu l’air fin s’il avait oublié sa monnaie. Christos détestait être en position d’infériorité, surtout face à Dorian. Quel maître aurait-il fait sans le moindre sou ? Plutôt mourir que repartir bredouille, à cause d’un malheureux oubli. Il attrapa les pommes et les tendit au romain, toujours pensif. Lorsqu’il était enfant, l’athénien passait une grande partie de son temps dehors, à parcourir la cité et à observer ses habitants. Il avait maintes fois vu des esclaves, suivant leurs maîtres à la trace, le regard baissé et le dos courbé, comme s’ils étaient perpétuellement prêts à s’incliner pour baiser les pieds de leurs riches protecteurs. Christos se souvenait avoir eu envie d’être suivi ainsi, en sachant que derrière lui, un homme ou une femme le percevait comme supérieur. Bien évidemment, à l’époque, il était sauvé de ses fantasmes de domination par sa sœur, plus sage et douce que lui. Cette dernière ne cessait de lui rappeler qu’il était à la même enseigne que ces gens soumis, à la différence qu’il avait juste un peu de chance. Il l’écoutait d’une oreille, persuadé qu’un jour, il posséderait également son serviteur. Toutefois, Christos pensait uniquement à l’autorité qu’il représenterait, et était inconscient de l’envers du décor : nourrir, loger, payer l’esclave… Et voir l’être humain qu’il était, à travers sa servitude.

    Mal à l’aise, l’athénien s’enfonça dans une nouvelle allée du marché, accordant quelques coups d’œil furtifs aux étalages de fruits, légumes, étoffes..., laissant à Dorian le soin de s’occuper de ce qui manquait. Le soldat n’avait pas pris la peine de vérifier ses réserves, comme à son habitude. Il tourna la tête vers son esclave, se mordant la lèvre pour ne pas poser une question de trop. En quelques minutes de marché, Christos avait allégrement dépassé le quota de mots qu’il réservait à Dorian. Il n’avait pas le souvenir de lui avoir déjà posé une question – personnelle j’entends – et encore moins de lui avoir demandé son avis sur sa condition de larbin. Non pas qu’il s’intéressait soudainement à celui qui se pliait à ses moindres souhaits (quoique ?), mais ses réactions attisaient la curiosité du grec. Sûrement parce qu’il n’y avait jamais fait attention auparavant… Cédant à la tentation, Christos laissa échapper du bout des lèvres « Que cherches-tu en Grèce ? ». Cette simple question, aux notes méprisantes, se voulait aussi dédaigneuse que la précédente, comme s’il lui reprochait d’être à Athènes alors qu’il n’y était pas à sa place. Le grec ne connaissait pas Rome, mais il savait que cette cité-là était renommée. De nature curieuse, il aurait bien voulu en apprendre davantage sur cet autre pays dont on vantait la grandeur, cependant, trouvant qu’il avait montré un peu trop d’intérêt pour Dorian, Christos préféra ne pas s’étendre. Il pourrait toujours se renseigner plus tard. Il ne s’arrêtait plus aux étalages et restait aux cotés – comprenez, quelques centimètres devant – du romain, lui laissant faire leurs quelques courses.
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Dorian Fabius.
Dorian Fabius
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MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptyJeu 2 Sep - 0:56

    Un marchand honnête avec un étalage de fruits et légumes frais. Les deux hommes avaient enfin trouvé un commerçant qui méritait son appellation. Heureusement pour eux, le maitre avait de quoi payer. Le soleil se levait en douceur, annonçant une magnifique journée ensoleillée. Les Dieux savaient être cléments, en particulier pour les commerçants. Légèrement courbé, les mains dans le dos, Dorian regardait l’homme auquel il obéissait. Il venait d’acheter quatre pommes d’un rouge exquis. Porter son attention sur autre chose que la foule lui avait passé l’envie de s’évanouir en pleine rue. Plus serein et apaisé, sa mine déconfite s’envola aussitôt, laissant réapparaitre l’esclave au visage impassible et fermé. Inspirant fortement par le nez, il fixa les mains de son maitre qui attrapaient les pommes. Pourquoi ? C’était une excellente question. A laquelle… Il ne pouvait répondre. Lui dire que la vie qu’il menait en esclave avec un maitre paresseux, qui ne lui apportait guère attention et qui le payait peu si ce n’était rarement était merveilleuse comparée à sa vie d’esclave chez celui qui le maltraitait. Les mots restèrent coincés dans sa gorge comme si l’air manquait et l’empêchait de sortir. Dorian se contenta de tourner la tête, faisant semblant de n’avoir rien entendu et d’observer quelque chose de plus ou moins intéressant.

    Lorsqu’il remarqua que son maitre avait finit son achat, Dorian fit une courbette comme pour lui certifier qu’il pouvait continuer les achats. Dans une sorte de petit sac en toile, il y déposa les pommes fraichement achetées ajoutant au fur à mesure des fruits au plus bas prix mais d’une saveur inoubliable : dattes, nectarines, abricots. Déposant délicatement les ingrédients, il se mordit la lèvre ; peut-être pouvait-il faire un excès. Peut-être pourrait-il utiliser l’argent qu’il venait de recevoir, ne serait-ce qu’un drachme pour se payer quelques framboises. Tenant le sac d’une main, le jeune romain passa celle libre contre sa poche. Un léger cliquetis. Le contact des pièces entre elles. Il ferma les yeux un instant puis prit à deux mains le sac, le serrant contre lui. Il était hors de question de se servir de cet argent. Il n’était pas réellement à lui. Qu’est-ce qui lui appartenait réellement après tout ? Rien. Rien. Même son corps ne lui appartenait plus. Et son âme ? A cette pensée, le jeune romain retint un rire. Son âme était la propriété des Dieux. Il n’était rien.

    Sa tête tournée vers un stand, il sentit un regard sur sa personne. Par réflexe, il tourna brutalement la tête. Ce n’était que Christos. Qu’avait-il aujourd’hui à lui manifester tant d’égards ? Dorian déglutit et se regarda l’étalage de nouveau. Il était trop nerveux, trop stressé. La foule le rendait fou. Il sentit le rouge lui monter aux joues. C’était affreux d’être aussi agoraphobe dans une ville qui était à son apogée. Comme pour se ressaisir, il passa sa langue sur ses lèvres pour les humidifier puis avec ce qu’il restait d’argent, paya le marchand en échange d’une laitue.

    Comme un coup de poignard, les mots 5 mots du grecque vint le frapper en pleine poitrine. Il faillit même en laisser tomber le légume mais se rattrapa bien vite et le remit sans ciller dans le sac de tissu. Dorian déglutit. Pourquoi tant d’intérêt soudain ? Pensait-il que le romain était une sorte d’espion, de traitre, envoyé en Grèce pour détruire la République naissante d’Athènes ? Allait-il appeler les autorités ?

    A peine eut-il levé les yeux que Christos était déjà devant lui, le regardant de cet air dédaigneux qu’il connaissait tellement bien désormais. Rares étaient les fois où l’esclave était droit comme un piquet, la tête relevée, mais l’information qui venait de parvenir à ses oreilles, à son cerveau ne fit qu’un tour dans son corps. Ses yeux roulèrent en arrière et il crut s’évanouir mais, encore une fois, son corps semblait trop résistant et, comme pour se moquer de lui, ses genoux ne voulurent pas céder à la tentation de s’effondrer. Droit, regardant fixement son maitre. Dorian déglutit, serrant le paquet contre lui. On allait l’attraper, l’arrêter, le torturer et le tuer pour un crime qu’il n’avait pas commit. Les lèvres légèrement tremblantes, sa voix rauque se mit à retentir :

    « - Je n’ai rien contre Athènes. Ni contre la Grèce. Je ne suis pas un terroriste. ».

    Les mots étaient sortis de sa bouche comme une vague déferlante qu’il ne pouvait arrêter. Il sentit une boule se former à l’intérieur de son estomac.

    Et dans le cas où il se tromperait, ce qu’il espérait de tout son cœur, de toute son âme, il pensa que son mutisme était la meilleure solution. Se taire. C’est ce qu’il avait toujours fait. Parler aujourd’hui n’arrangerait rien, ne changerait rien. Clore ses lèvres. Ne plus les ouvrir. Même ses mots ne lui appartenaient pas…
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Christos Anthony.
Christos Anthony
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MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptyVen 3 Sep - 18:15

    Christos n'était pas le plus pratiquant des athéniens, il priait peu, et uniquement lorsque cela l'arrangeait. Croire que des êtres puissants, dotés de pouvoirs en faisant fantasmer plus d'un, nous protégeaient était, en soi, un soulagement et nous offrait un peu de motivation, du courage, de l'espoir, nous rendait peut-être plus forts, plus confiants en l'avenir. Toutefois, s'il ne le clamait pas sur tous les toits, le jeune homme haïssait les habitants de l'Olympe pour lui avoir arraché un être cher, il avait maintes fois imaginé Hadès accueillant à bras ouverts sa soeur, dans ses cauchemars. Sa foi envers les dieux était mitigée et discutable, mais il était forcé de reconnaître que la Grèce – Athènes en particulier – était une superbe création, un pays et une cité dont l'on vanterait le prestige dans les siècles à venir. Il comprenait que nombre d'étrangers viennent s'y établir, peu importent leurs raisons. N'ayant pas songé aux mauvais cotés de ces migrations, Christos ne put s'empêcher de hausser un sourcil et de se retourner, laissant un regard dubitatif couler sur Dorian. Il s'accouda contre un étal, regrettant alors d'avoir posé sa question. D'ailleurs, pourquoi lui avait-il demandé ? Il l'oublierait avant la fin de la journée, voire avant midi... Cette journée semblait spéciale ; tout d'abord, l'athénien daignait accompagner son esclave au marché (pour peu de chose...) et lui adressait la parole, avec un ton trahissant une légère pointe de curiosité. « Laisse. » Murmura-t-il en pivotant de nouveau vers de nouveaux étalages. « Tu as sûrement tes raisons. » Il accompagna sa banale remarque d'un haussement d'épaules significatif.

    D'une certaine manière, il se moquait éperdument des affaires de son esclave, et paradoxalement, son calme, sa soumission et son humilité agaçaient comme intriguaient Christos. Parfois, il avait même la sensation d'être face à ce qu'il aurait pu être sans tous ses défauts. Chassant cette pensée de sa tête, il préféra reporter son attention sur un énième étalage où s'entassaient choux, lentilles, fèves ou encore oignons. Cette vision lui donna la nausée... Il se souvint, vaguement, avoir mangé quelques uns de ces légumes la veille... Les longues nuits d'ivresse le perdront, son estomac en souffrait encore. Passant son chemin – il ne souhaitait pas tomber malade, Christos piqua discrètement une figue et mordit dedans sans attendre. « Tu as quelqu'un qui t'attend, à Rome ? » Lança-t-il en tournant légèrement sa tête vers Dorian. Par Zeus, ne pouvait-il pas tenir sa langue ? Il ignorait pourquoi cette question lui avait traversé l'esprit. Sans doute pour simuler un semblant de conversation, un faible échange pouvant peut-être tromper ce silence qui planait toujours entre eux. Cela dit, ce dernier était voulu par le « Maître ». Mais aujourd'hui, il avait comme une envie de... se changer les idées. Songer à autre chose, juste ouvrir la bouche, pas forcément écouter. Les réponses de Dorian le préoccupaient peu, toutefois, il se donnait l'illusion d'être en interaction avec quelqu'un. Le marché était un lieu public bruyant et vivant, du matin au soir, et pourtant, il s'y sentait vraiment seul, n'y étant pas habitué et encore moins, inconditionnel.

    La figue n'était pas la meilleure qu'il ait goûtée, elle soulagea simplement sa faim. Ses yeux sous plissèrent sous les rayons du soleil, et son mal de tête s'accentua. Il se massa la tempe gauche, une grimace sur le visage. Dès qu'ils rentreraient, il s'affalerait sur sa couche et y resterait jusqu'au lendemain. Christos espérait retrouver son chemin à travers cette foule envahissante, maudissant intérieurement cette vulgaire dette à rembourser, qui l’avait obligé de se lever aux aurores. Il pesta contre les charlatans qui s’autoproclamaient marchands et ses maux de tête, qui semblaient s’aggraver au fur et à mesure de ses allées et venues à travers les différents commerces. L’athénien n’était pas mécontent d’habiter dans un quartier extérieur à l’Acropole, il ne supporterait pas tout ce remue-ménage sous sa fenêtre. Christos s’arrêta devant une intersection, afin de laisser le passage à quelques charrettes, mais ne continua pas son chemin pour autant. Après un léger moment d’absence, sa main effleura son philtrum, pour comprendre qu’il était en train de saigner du nez. Une réaction habituelle chez le soldat, qui se manifestait simplement lors de violents maux de tête (dus, à leur tour, aux nombreuses nuits d’excès qu’il se permettait)… Il se retourna vivement vers Dorian. « Tiens, de sa main libre, il lui donna la monnaie qu’il avait emmené, termine vite et rejoins-moi à la première fontaine, en continuant tout droit. » Un ricanement nerveux s’échappa de ses lèvres tandis qu’il se dépêchait de se rendre à ladite fontaine, en priant intérieurement Apollon de faire cesser ces écoulements sanguinolents. Le bruit diminuait, ce qui était bon signe pour lui. Il se nettoya hâtivement la figure, avant de déchirer un morceau de sa tunique, pour se sécher. Heureux d’avoir quitté cette agitation matinale, il s’assit sur un rebord de pierre, pressant le bout de tissu contre son nez et guettant l’arrivée du romain, songeur. Étrangement, il n’avait pas saisi ce prétexte pour retourner chez lui – de toute façon, il préférait être à l’extérieur, aussi paresseux soit-il… Pour une fois qu’il se montrait patient.
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Dorian Fabius.
Dorian Fabius
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MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptyVen 3 Sep - 22:57

    Une grande inspiration de soulagement en fermant les yeux une demi-seconde. Juste de la curiosité. Uniquement de la curiosité. Comment avait-il pu croire une seule seconde que sa vie était en danger ? C’était carrément stupide d’y avoir même songer. Se sentir aussi mal ne lui ressemblait pas. Et puis, était-ce réellement un secret sa venue à Athènes ? Il semble que, venir dans une autre ville pour trouver un remède, de l’argent, que l’on ne peut obtenir chez soi est plus que banal. A moins que sa réelle motivaiton pour partir était toute autre, quelque chose de plus sombre, de beaucoup plus personnel qu’il n’osait pas s’avouer à lui-même. C’était même peut-être tout à fait inconscient. Juste fuir une vie qu’il n’avait jamais voulu. Qui en aurait voulu après tout. Non, il ne devait plus penser à ça. A rien d’autre sauf à sauver sa tante qui devait certainement être mourrante. Ses enfants se moquaient bien de ce qui pouvait lui arriver, ils s’en foutaient car il y avait toujours le gentil papa quié tait là pour subvenir à leurs besoins. Et puis, ils avaient toujours été jaloux de l’amour que donnait leur propre mère à ce bâtard. Et pour une fois, Dorian aimait être ce bâtard, car au moins, il avait reçu ne serat-ce qu’un peu d’amour. Un peu. Qui le fit vivre, vivre juste assez pour le lui rendre. Oui, il devait oublier ce passé et se reconstruire. Et pour cela, il devait aider celle qui avait fait de lui un homme.

    Dorian regarda son maitre faire volte face en haussant les épaules. Oui il avait ses raisons. Le jeune romain soupira de nouveau de soulagement. C’était étrange tout de même, s’intéresser autant à une personne si soudainement. Le jeune homme haussa les épaules à son tour. Le sac coincé entre ses bras et son corps, il avança à travers les étalages en suivant Christos comme une ombre. Tous ces produits… Dorian en salivait rien qu’à l’idée de pouvoir les goûter, éveiller ainsi ses papilles gustatives. Il connut peu de saveurs dans sa vie. A part celle du fer. Celle du sang. Ô, celle-ci, il la connaissait bien. Cracher du sang pour le ravaler… Déjà, c’était assez atypique et puis, c’était répugnant. Un goût qu’il avait apprit à oublier une fois les deux pieds dans la ville d’Athènes. Mais apparemment voir autant de nourriture ne faisait pas le même effet à tout le monde ; alors que Dorian s’émerveillait comme un enfant à chaque découverte, son maitre, lui, semblait pâlir. Sûrement les restes de la veille qui commençaient à faire du remue-ménage à l’intérieur de son estomac. Le romain se mordit la lèvre ; ramener le jeune maitre à la demeure, continuer le marché, ramener Christos et revenir ensuite ? Dorian aussi aurait préféré rentrer. Mais, tête baissé, il continua de marcher alors que l’athénien tourna la tête vers lui en lui posant une énième question. A ses mots, le sac qu’il tenait si fort manqua de glisser de ses mains. In extremis, il le rattrapa en laissant échapper un petit gémissement crispé.

    Cela rimait à quoi toutes ces questions ? Voulait-il réellement connaitre son esclave , était-ce juste pour passer le temps ? Dorian tangua comme s’il se trouvait sur un bateau. Comment pouvait-il répondre à cette question ? Il crut que ce serait lui le premier à recracher le pauvre repas de la veille. La tête toujours baissée, il pensa que ne pas mentir lui attirerait sûrement des faveurs :

    « - Oui. Mais ce quelqu’un peut encore attendre. ».

    Du moins… Il l’espérait. Pourrait-elle attendre encore longtemps ? Oui. Sa tante était une battante, comme lui. La maladie ne pourrait l’emporter et même Pluton ne pourrait l’emporter aussi tôt. Et ça, Dorian le savait.

    Un léger rictus vint s’emparer de son visage alors qu’il remarqua que Christos s’était arrêté de marcher. Sans qu’il ne s’y attende, le soldat se mit à saigner du nez. Le sang ne semblait pas vouloir cesser de couler. La nausée de Dorian s ‘amplifia. Heureusement, Christos lui tendit le reste de drachmes pour continuer les courses. A peine eut-il entendu la suite des indications qu’il fila comme une flèche après une légère courbette.

    Finir les courses. Vite. Très vite. Mais ce qu’il voulait plus que tout ; c’est que le sang s’arrête de couler. C’était plus que répugnant. Ca lui donnait envie de vomir. Il était ravi que, depuis son arrivée en Grèce, son sang n’avait plus coulé. Même si on le bousculait dans les rues, même si souvent sa maladresse l’avait fait chutter, jamais il n’avait été blessé physiquement. Un miracle.
    S’exécutant comme le sage esclave qu’il était, il fila à travers le marché pour acheter des fèves et de l’orge. Ils avaient tout dépensé pour pouvoir se nourrir. Enfin, surtout pour pouvoir nourrir le maitre. Même s’il se contentait de peu, Dorian aimerait pouvoir manger plus. Ses côtes commençaient à être visibles, saillantes. Déjà que son corps était abîmé, il devenait de plus en plus creusé et infâme. Portant une main à son ventre qui gargouillait, il se jurra que, lorsqu’il serait affranchi, il mangerait toujours à sa faim.

    Même si la foule ne cessait de grouiller et que le marché n’était pas prêt de se terminer, Dorian, lui, en avait bien finit avec les comissions. Epuisé par les athéniens et leurs cris, Dorian suivit le chemin indiqué et tomba sur la petite fontaine. Assit sur son rebord, Christos attendait en essayant de retenir le sang. Les pieds incrustés dans le sol, Dorian vacilla de nouveau mais ne flancha pas. Une grande inspiration et c’est parti !

    Le jeune esclave déposa les courses, délicatement pour ne pas les abîmer,aux pieds de son maitre, tête baissée pour ne pas croiser son regard. Mains dans le dos, il se courba légèrement en murmurant de sa voix raque :

    « - J’en ai fini avec les courses Maitre. ».

    Qu’avait-il avec ce mot à la fin ? Il sortait si naturellement et pourtant, c’est comme s’il le vomissait, le sortant du plus profond de ses tripes. Il n’osait même pas le regarder en face, c’était pour dire. Comme si en un regard il était possible de tout connaitre d’une personne. Il avait trop honte. Le déshonneur, c’était pire que tout. Si Christos continuait avec ses questions, il feinterait le mutisme et alors, il pourrait continuer tranquillement sa vie d’esclave. Il n’ouvrirait la bouche que si on le lui ordonnerait. Mais à croire que Christos n’était pas réellement de ce genre, donner des ordres aussi… Spéciaux. Leur relation se devait de rester entièrement « professionnel ». Ne pas déraper. Ne pas changer. Un mot d’ordre qu’il se devait de respecter.

    Mais il ne respecta même pas les limites qu’il s’était fixé. Dorian releva légèrement les yeux, juste assez pour que le bleu étincelant transperce les ténèbres :

    « - Si je puis me permettre, puis-je vous poser une question ? ».


    Sa voix grave faisait vibrer tout son corps. Et pour la première fois de sa vie, il n’attendit pas la réponse, prenant une initiative un peu risqué pour un esclave…

    « - Pourquoi tant de questions ? ».

    Le jeune homme pencha la tête sur le côté, affichant sur son visage un air interrogateur. C’était risque, ça c’est sûr ! Mais il voulait savoir à quoi s’attendre avec ce personnage aux multiples faciès. Et pour cela, il était prêt à recevoir une quelconque punition. Oui, peu importait, du moment qu’il avait sa réponse. Il eut envie de sourire. Mais sourire à un moment pareil aurait été interprété comme une moquerie alors qu'il n'en était rien. Il avait juste envie de sourire. Après tout, n'était-ce pas la première fois depuis qu'il avait rencontré Christos qu'il parlait autant et qu'il posait une question ?
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Christos Anthony.
Christos Anthony
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MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptySam 4 Sep - 22:22

    Le morceau d’exomide qu’il avait déchiré était maintenant imbibé de sang et d’eau. Christos avait beau être soldat, il détestait ces saignements impromptus et plus encore lorsque son entourage se mettait à observer cette hémorragie inattendue. Sa sœur avait ce problème, mais il ne se doutait pas qu’à son tour, il en serait victime. N’ayant pas le luxe de s’offrir médecins, guérisseurs ou remèdes miracles, l’athénien se contentait de prier Apollon, malgré ses écarts dionysiaques… Penché en avant, il attendait que ce torrent sanguinolent cesse. Toutefois, si cette sensation le dégoûtait, Christos n’avait jamais rien essayé pour arrêter ou éviter que cela se reproduise ; il n’en connaissait même pas l’origine. Faisant abstraction de ses migraines à répétition, il continuait de boire plus que de raison, en compagnie de ses amis guère fréquentables. Il trempa une nouvelle fois son vulgaire fragment de tissu dans l’eau tiède de la fontaine et épongea son visage avec, tandis que son regard vagabondait autour de lui. Le marché agitait l’Agora, les habitants d’Athènes semblaient se transformer une fois extirpés de cette atmosphère commerciale : moins de cris pour se faire entendre, moins d’impatience, plus de calme… À cause de ses modestes revenus, Christos tenait vraiment à ne pas perdre bêtement de l’argent et il n’imaginait pas une seule seconde un esclave, aussi robuste soit-il, demander des comptes à un marchands. Les serviteurs étaient sous-estimés par beaucoup, ce n’était pas une nouvelle, et peu avait un semblant de respect à leur égard. Dorian n’aurait jamais réussi à récupérer quelques drachmes à cet escroc de Publius, du moins, était-ce la pensée de son maître. Le romain possédait la retenue et la patience que n’avait pas Christos. Ils ne partageaient pratiquement rien, à part une multitude de contraires. D’ailleurs, le grec se demanda pourquoi il n’avait pas saccagé l’étal du marchand. La remarque de Dorian l’avait freiné dans ses violentes intentions…

    Son nez avait cessé de saigner. Cela lui rappela la guerre, le sang des soldats, le sien, les armes qui virevoltaient au-dessus des têtes et les flèches qui effleuraient une partie de votre corps… Christos avait décidé de s’engager dans l’armée grecque uniquement pour s’attirer les foudres de son père et ainsi, rompre tout contact avec un être qu’il haïssait au plus haut point. Participer aux combats n’était pas ce qui l’enchantait, ni ce qui le guidait dans la vie, mais l’athénien aimait prendre des risques et se battre. En somme, il n’avait pas vraiment de but… à moins qu’abuser des fêtes athéniennes soit l’accomplissement d’une existence. Les yeux baissés sur ses sandales, une ombre vint se placer entre lui et le soleil. Dorian était revenu avec son sac rempli de victuailles. Naturellement, Christos n’y jeta pas un coup d’œil et, déterminé à rester assis, ne bougea pas. Il hocha à peine la tête, l’esprit ailleurs. Son regard s’était posé sur le Parthénon, situé au sommet de l’Acropole, devant lequel il lui semblait apercevoir la silhouette menue du fantôme de sa sœur. C’était machinal. Un automatisme. À chaque fois qu’il observait un lieu, une place, ou quoique ce soit d’autre lui rappelant sa défunte jumelle, le grec subissait toujours un moment d’absence, de quelques secondes à peine, pendant lequel il ne pouvait empêcher de s’imaginer sa sœur. Secouant la tête, il fut rappelé à l’ordre par une question, deux plutôt. Pris au dépourvu, Christos reporta son regard sur le romain afin de croiser le sien. Il arqua un sourcil, ne sachant quoi répondre. ‘Parce que je me sens seul’ aurait été pathétique. ‘Je ne sais pas’ paraîtrait suspect. ‘Comme ça, c’est tout’ serait encore plus douteux. « Pour me changer les idées. » Choisit de répondre l’athénien, légèrement lointain. Au moins, de cette façon, il mélangeait toutes les options avec un sous-entendu de mépris. Avouer que, depuis déjà un bon moment, le romain l’intriguait dans sa manière de courber l’échine pour le moindre des services, serait inacceptable pour l’athénien. Ils devaient, tous les deux, s’en tenir à une relation de maître-esclave. Dorian était sous sa « protection » (pouvait-on utiliser ce terme quand il s’agissait de Christos ?...) et son inférieur, un être qu’il avait acheté, qui lui appartenait, avec un droit de vie et de mort.

    « Tu n’as pas l’habitude qu’on s’intéresse à toi, c’est tout. » Siffla le jeune homme, en se hissant sur ses deux pieds. Il ignorait si le romain avait des proches dans la cité, ou des connaissances au moins. Agrémenter la conversation d’une nouvelle remarque acerbe permettrait peut-être de remettre de l’ordre dans les esprits. « Tu es pâle à cause de mes questions ou… tu ne te sens pas bien ? » Christos fronça les sourcils. Le regard bleu de l’esclave ressortait anormalement de son visage blême, alors que la journée était chaude. Etait-il mal à l’aise ? Ou trop faible ? C’était probable, l’argent ayant manqué ces derniers temps, la nourriture se faisait rare. L’athénien pouvait manger à sa faim chez des amis, tandis que le romain, lui, devait se contenter des restes moisis qui traînaient dans la cuisine. Le soldat ne se voyait pas revenir chez lui avec un Dorian hagard et un lourd sac de courses, oh non. C’était bien pour cela qu’il avait payé : pour qu’un autre le fasse. Et cet autre en question ne devait être ni faible ni malade – et ni blessé, si possible. Ne dissimulant pas son agacement, le regard arrogant de Christos coula sur l’esclave courbé. Il savait d’avance qu’en bon employé, Dorian ne se plaindrait pas. Surtout lui. Il était tellement sérieux et « dévoué » à ses tâches qu’il n’oserait pas. Le grec n’allait certainement pas s’en lamenter, sauf si cela mettait en jeu la santé d’un larbin. Poussant un profond soupir, il se résolut à lâcher, avec très mauvaise volonté « Tu as besoin de quelque chose ? ». Ce serait probablement la dernière fois qu’il demanderait cela. De quoi avait besoin un esclave ? De tout. De sa liberté pour commencer, de ses droits… Seulement, Christos n’était pas prêt de l’affranchir. Pour tout dire, cette éventualité lui paraissait absurde.
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Dorian Fabius.
Dorian Fabius
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MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptyLun 6 Sep - 3:38

    Comme à son habitude, Dorian ne put plus longtemps soutenir le regard de son maitre. Baissant la tête comme l’esclave qu’il était, il se garda bien de se taire. Il était allé trop loin, il en avait trop dit. Pourquoi ne pas rester à sa place comme il l’avait toujours fait ? Car c’était la seule chose qu’il méritait ; rester à sa place. Enfonça davantage sa tête dans ses épaules, il soupira. Au moins, le sang avait cessé de couler. Tout deux devraient vite reprendre des couleurs. Mais entendre encore la foule ,qui commençait à peine à s’éveiller, s’agiter pas loin d’eux, Dorian eut un léger vacillement. Mais il se ressaisit bien assez tôt, ne laissant pas paraitre en aucun cas qu’il se sentait mal. Vivre plus de vingt années sur cette Terre sans jamais avoir été malade – au moins pouvait-il apprécier ce cadeau des Dieux, de ses parents, de l’avoir fait aussi robuste – et là, se sentir aussi faible face à tant de foule… Cela semblait tellement ironique. Comme si la vie toute entière se moquait de lui.

    Au moins, il avait sa réponse. Même si celle-ci ne lui convenait pas. Parfois, il lui arrivait dans sa petite tête d’homme soumis aux plus forts de vouloir les secouer, les secouer en hurlant jusqu’à ce qu’ils se décident à dire la vérité. Combien de fois Dorian crut que ses parents avaient plutôt été assassinés par son oncle pour pouvoir profiter de son larbin ? Heureusement, sa tante le faisait vite redescendre sur Terre ; son oncle était, certes très puissant physiquement et savait se faire obéir, mais il n’était pas assez intelligent pour prévoir quelque chose d’aussi diabolique. Oui, au moins ça. Après tout, il devait s’en contenter. C’était la meilleure chose à faire. Il en avait déjà trop fait et trop demandé. Malgré ce que lui demander Christos, Dorian avait sut lire dans ce regard sombre, les peu de fois où il avait réussit à le soutenir, que ce n’était pas un homme aussi mauvais qu’on en disait. Dorian avait beau être docile, exécuter n’importe quelles tâches, il restait un esclave. Un esclave que l’on pouvait battre, torturer, violenter ou même tuer. Tant de fois il avait vu des personnes asservies tout comme lui se faire insulter et frapper sous ses yeux, en public. Il devait l’admettre ; il avait vraiment eu de la chance pour ce coup-ci. Se faire acheter par un soldat non-violent avec ses « proches », s’il se considérait comme tel, c’était une aubaine.

    Dorian secoua la tête négativement, comme une sorte de réponse à son employeur forcé. Non. Non on ne s’intéressait pas à lui. C’était un étranger venu de Rome, ville rivale d’Athènes, acheté et vendu comme un produit, ayant passé sa vie à tout faire pour les autres sans que personne ne lui témoigne d’intérêt. Alors non. Il n’en avait pas du tout l’habitude. Mais une chose était claire ; il y prendrait vite goût. Un léger sourire vint illuminer son visage plutôt pâle. Un bref instant, même si la remarque de Christos semblait être des plus antipathique, il la garda dans un coin de sa mémoire, la repassant comme une ritournelle qu’il n’était pas prêt d’oublier.

    Le jeune romain recula de deux pas lorsque Christos se leva et comme s’il se sentait obligé de rester inférieur à lui, il courba le dos davantage en s’humidifiant les lèvres. C’était à son tour de froncer les sourcils, relevant juste assez le visage pour que son regard croise le sien. Semblait-il si blafard que ça ? Un instant, il tourna la tête vers la foule qui ne faisait que grandir. Ses yeux s’écarquillèrent, faisant rétrécir la pupille de ses yeux puis il baissa de nouveau la tête vivement. Non, ne pas montrer ses faiblesses. Rester fort et fier face à l’adversité. Car oui, la foule d’Athéniens était son adversaire. Après avoir déglutit, sa voix rauque se mit à sonner :

    « - Non Maitre. Je vais bien. ».


    Ses lèvres se pincèrent. « Je vais bien, ne vous inquiétez pas pour moi ». Ce genre de phrase, il les disait à sa tante lorsqu’il revenait le visage en sang avec un léger sourire pour ne pas l’inquiéter plus qu’elle ne l’était. Et alors, il lui prenait la main et sa mère de substitution passait un chiffon mouillé sur ses plaies, le regard triste. Cela avait toujours fonctionné comme ça entre eux. Cela ne pourrait jamais fonctionné comme ça avec son maitre. Il ne pourrait pas lui dire que la foule l’effrayait et que, chaque fois qu’il rentrait de courses, le romain devait inspirer profondément pour ne pas s’évanouir. A quoi servirait-il sinon ? A rien.

    Son souffle fut soudainement coupé. Que… Que venait-il de demander ? S’il avait besoin de quelque chose ? Cette fois-ci, Dorian ne put lever le menton pour le regarder droit dans les yeux. Un « Seigneur » demandait à son « Cerf » s’il avait besoin de quelque chose. C’était lui où aujourd’hui, le monde ne tournait pas rond ? Christos voulait l’accompagner. Christos voulait en savoir plus sur lui. Christos lui demandait s’il avait besoin de quelque chose. Dorian déglutit une nouvelle fois. Ce n’était pas croyable. Ô, il avait tant de choses à lui demander : « j’ai besoin de plus d’argent ! », « j’ai besoin d’un remède contre une maladie qui est en train de tuer la seule personne qui ait voulu apaiser mes souffrances ! », « j’ai juste besoin de manger, de manger ! De manger… Des framboises ! Un fruit que je n’ai pas goûté depuis l’âge de cinq ans ! », « j’ai besoin … »…

    « - … de partir de l’Agora… La foule me rend malade ! ».

    Ces mots étaient sortis tout seuls. Comme s’il avait juste eu besoin d’ouvrir les lèvres pour qu’ils sortent. Sans relever la tête, il plaqua une main sur ses lèvres en se maudissant. De plus, il ne l’avait pas juste sorti comme une demande ou une affirmation non… Il s’était exclamé ! Il plissa les yeux. Il se maudissait. Réellement. Il serra la poing, enfonçant ses ongles sales à l’intérieur de la paume de sa main. Paniqué. Il commençait à paniquer. Et la foule qui grondait à côté. N’allaient-ils pas se taire à la fin ? Le romain leva la tête et regarda son Maitre, les lèvres tremblantes :

    « - Je, non… Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire… Mais après tout, nous en avons finit avec les courses, non ? ».


    Se rattraper, oui, il fallait qu’il rattrape l’énorme bêtise qui venait de franchir ses lèvres. La sueur commençait à dégouliner le long de ses tempes, se faufilant sur ses joues. Il tanguait comme sur un bateau. Encore cette sensation. Et la lumière du soleil qui était trop forte. N’avait-il jamais songé à éclairer moins fort les habitants de cette planète ?

    Ses pieds s’ancrèrent dans le sol comme pour s’empêcher de vaciller. Non, il ne tomberait pas. Pas maintenant. Pas après tout les efforts qu’il avait fait pour tenir. Jamais personne ne l’avait fait perdre conscience. Mais cette foule, grandissante, se réjouissant de cette journée… Elle semblait ricaner. Se moquer de l’esclave qui n’avait bientôt plus de force pour résister.

    La tête inclinée vers le bas, il regarda une goutte de sueur tomber sur le sol poussiéreux. Une profonde inspiration et Dorian s’arma du plus grand courage qu’il possédait :

    « - Vous devez certainement être affamé. Je vais vous préparer de quoi manger… ».

    C’est comme si la foule disparue un instant. Faire abstraction de ce qui l’entourait pour se focaliser sur quelque chose d’essentiel ; celui qui éviterait certainement que sa vie soit un véritable enfer. Et encore une fois, il parlait trop...


Dernière édition par Dorian Fabius le Sam 11 Sep - 20:15, édité 1 fois
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Christos Anthony.
Christos Anthony
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MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptySam 11 Sep - 15:35

    [Désolée pour l'attente et la médiocrité de la réponse... silent]

    Christos ne sut pourquoi mais le ton effrayé et soudain, ainsi que le regard paniqué de Dorian eurent raison de l'indifférence qu'il éprouvait à son égard. Il lâcha un rire discret, amusé ou moqueur, il ne saurait dire. Venant de son esclave, cette supplique improvisée le prenait au dépourvu car, même s'il ne le montrait pas (et ne le montrerait jamais...), l'athénien percevait le romain comme un homme aux épaules solides, n'ayant pas froid aux yeux et étant capable de contenir tous les débordements. Il avait l'impression qu'en face de lui se trouvait enfin le « véritable » esclave, l'être inférieur, le subalterne... le jouet, le bien qu'il exposait dans les rues d'Athènes. Christos balaya la place du regard afin de comprendre ce qui angoissait son larbin, mais il voyait simplement une foule qui explosait à la sortie d'un marché bondé avant de se regrouper de nouveau. Rien de bien effrayant. Un maître tolérant et compréhensif – effectivement, on en trouvait – aurait immédiatement rebroussé chemin ou renvoyé l'esclave à la maison, pour continuer sa promenade ou ses courses. Évidemment, dans le cas de Christos, qui se montrait rarement actif et de bonne foi, ce fut le contraire qui se produisit. « Tu as... peur ? De la foule ? » Répéta-t-il doucement, sans dissimuler son étonnement. « Depuis quand exactement ?... » Le grec haussa un sourcil interrogateur tout en dardant Dorian d'un regard exaspéré. Confiait-il toutes ses tâches à un incapable ? Ou était-ce sa présence, aussi rare qu'inefficace, qui troublait le romain ? A moins qu'il s'agisse d'autre chose. « C'est la meilleure nouvelle de ma journée. On en apprend tous les jours... » Se rattrapant, Dorian justifia son élan de frayeur par un maladroit « les courses sont finies ». Sage remarque. Ils n'avaient plus à traîner dans les allées surchargées d'athéniens désireux de terminer leurs achats avant que le soleil ne devienne trop insupportable. Christos n'était pas assez stupide pour faire abstraction de ce malaise imprévu, il comptait bien continuer sur sa lancée. Cependant, il était malvenu de se moquer ainsi d'une simple crise de panique de la part du grec, qui de son coté, vivait dans la peur constante que quelqu'un découvre qu'il n'était pas étranger dans l'accident ayant causé la mort de sa sœur, il y a dix ans de cela.

    Affamé... Le mot le rendit malade. Il se savait déjà livide, mais à ce stade, il était probablement devenu transparent. Il avait un goût prononcé pour les nuits blanches, guidées par les folies de Dionysos : il abusait autant de la compagnie de ses amis comme du vin. Les lendemains étaient difficiles, ce n’était jamais sûr qu’il ait retrouvé le chemin de son quartier… Il pouvait aussi bien être récupéré par terre dans la rue qu’inconscient en plein milieu de la cuisine, en belle illustration de la décadence grecque. Christos continuait, année après année, à dégrader une réputation déjà bien entachée… « Si je mange, je tombe malade. Et si je tombe malade, je m’en prendrais à toi. » Grinça l’athénien, dont le foie n’avait pas fini d’évacuer le vin. « À qui est réellement destiné le ‘affamé’ ? » Reprit-il, non sans une certaine ironie. La question n’appelait pas de réponse, elle était visible après un coup d’œil sur l’état physique du romain : amaigri, blême… Et son maître fermait les yeux. Il octroyait très peu de considération à l’homme qui le servait, il cultivait une cruelle insensibilité à son égard. Sauf aujourd’hui, peut-être ? Une main en visière, Christos leva les yeux vers le Parthénon, avec la désagréable impression qu’Athéna et Néphélie lui reprochaient son comportement pour le moins… pathétique. « Je dois me procurer un glaive, avant de rentrer… Avance. » Il passa devant Dorian en lui donnant un coup d’épaule et partit en tête, la mine renfrognée. Le grec économisait assez pour s’offrir une nouvelle arme – après avoir égaré la précédente – mais était incapable de mettre de l’argent de coté pour son esclave. Sa situation, précaire, ne l’avantageait pas non plus. Rejoindre le marchand d’armes n’obligeait pas de repasser par le marché. Il n’était qu’à quelques mètres, en train de vanter les mérites d’un arc. « Ne touche à rien et reste en retrait, tu pourras peut-être manger si tu obéis. » Lâcha sourdement Christos avant de s’approcher du comptoir. Son regard fut immédiatement attiré vers les plus belles armes, celles qu’il ne pouvait même pas espérer toucher. Il n’était pas un hoplite, mais un simple soldat, sans aucune protection et devant se protéger avec des armes médiocres. Voir cet équipement coûteux étalé devant ses yeux le rendit maussade. Se contentant d’un glaive bon marché, comme d’habitude, dont la lame avait déjà bien servi, il remercia distraitement le marchand et tourna les talons.

    « Tiens, tu essayeras de la faire briller. » Il fallait avoir une certaine confiance en son serviteur, pour lui confier toute tâche ayant rapport à une arme. Malgré leurs conditions de vie dignes des bêtes, les esclaves restaient des hommes et étaient capables de tuer. C’était même légitime, dans les cas les plus extrêmes… Pourtant, l’athénien avait rarement songé à ce que cette éventualité se produise un jour. S’il devait se justifier, il hésiterait entre le fait de croire en son sous-fifre ou simplement, se moquer de sa faiblesse… « Tu sais comment t’en servir au fait ? » Ajouta Christos, en envoyant une œillade méfiante au romain. Il ignorait ce qu’avait fait Dorian, avant de se faire vendre, et encore moins s’il avait, de près ou de loin, côtoyé la guerre.
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Dorian Fabius.
Dorian Fabius
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MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptySam 11 Sep - 23:24

    Garder la tête baissée, ne plus rien ajouter. C'était tellement mieux. Déjà qu’il se sentait ridicule et honteux d’avoir pu sortir ça… Si en plus il continuait à se justifier, il en prendrait encore pour son grade. Christos l’avait toisé. Il ne comprenait certainement pas. Et c’était normal. Qui pouvait avoir peur de la foule ? S’il ne possédait pas ce genre de phobie, le jeune romain en aurait sûrement rit aussi. Mais là, il la ressentait l’envahir, pire que n’importe quels coups qu’il aurait pu recevoir. Peu à peu, l’angoisse se dissipait en même temps que la foule. Il se sentit bientôt mieux. Il ne devait pas répondre. Rien. Courber l'échine, comme à son habitude et faire face à ses peurs.

    Mais les remarques que lançaient Christos, tels des piques qui vinrent lui transpercer la peau… C’était vraiment insupportable. Aimait-il tant que ça le fait de rabaisser davantage son esclave ? Christos n’était pas méchant, pas foncièrement, mais il savait choisir ses mots les plus ardents pour pouvoir consumer sa victime. Le maitre devait savoir que l’esclave était au moins plus fragile mentalement que physiquement. Aussi étrange que cela soit, Dorian aurait préféré être battu en publique plutôt que de devoir supporter les railleries d’un autre. La tête baissée, tel un chien battu, il se contenta d’acquiescer. Acquiescer à quoi ? Il ne le savait pas vraiment. Peut-être acceptait-il les remarques. De toute façon, peu importait ce que disait Christos ; il avait toujours raison. Même si des fois, il avait tord. Il avait toujours raison. La raison du plus fort. Dorian déglutit. Que ce soit pour la foule ou la nourriture. Christos avait raison. Désormais, c’était à lui de se rendre malade.

    Dorian avait toujours été fort. Un corps robuste pour un esprit robuste. De quoi l’empêcher de sombrer et de se laisser mourir. Mais en ce moment, il manquait réellement de force. Plus physique que mentale. La faim lui tailladait l’estomac et il se devait de ralentir la cadence de travail. Il sentit le regard de son supérieur sur son corps. Ô, s’il aurait pu, il se serait enfoncé sous terre. Ses joues se mirent à s’empourprer de honte. Sa tête se baissa davantage alors que Christos lui imposait une ultime tâche ; se rendre chez un marchand d’armes. Dorian soupira doucement. Il ne finirait pas la journée, c’était certain. Une légère courbette avant de recevoir un coup d’épaule qui le fit légèrement vaciller. C’était sûrement le premier contact physique avec son maitre. Rougissant davantage à cause de la honte d’être ainsi traité mais aussi du peu de force qu’il possédait comparé à lui, il se mit en marche derrière son maitre après avoir attrapé le petit sac de courses. Son menton se souleva pour observer celui qui le possédait : des épaules larges, des muscles apparents. Le romain secoua la tête. Jamais il ne posséderait un physique pareil. Tiraillé entre la jalousie et la fascination, l’esclave se laissa guider jusque chez le marchand.

    L’esclave s’exécuta et resta derrière, se hissant sur la pointe des pieds pour observer tout de même les armes. Ses yeux s’agrandirent laissant le choix à sa rétine de contempler toutes les armes ; glaives, épées de toutes sortes, arcs et arbalètes avec leurs flèches, armures, plastrons et autres boucliers. Dorian sentit un léger sourire s’afficher sur ses lèvres. Il était totalement émerveillé. Peut-être que, dans une autre vie, il aurait été ou pu être un guerrier. Quelqu’un de fort qui ne se laisserait jamais abattre. Il se mordit la lèvre inférieure sans cesser de sourire. La lumière se reflétait sur les multiples lames. C’était merveilleux. Dorian était quelqu’un de pacifique, totalement. Mais apprendre l’art de la guerre aurait été tellement enrichissant.

    Comme la chose la plus précieuse en ce monde, Dorian tendit les mains et reçut l’objet. La lame semblait un peu abîmée, voir même légèrement rouillée comme si le sang séché avait réussit à détruire le glaive. Le romain passa sa langue sur ses lèvres en resserrant son emprise. La gardant en main, il continua d’avancer, toujours derrière Christos. Ce n’est seulement lorsque son maitre lui posa une question qu’il réalisa que l’objet ne lui appartiendrait jamais. Que rien ne lui appartiendrait réellement. Son sourire candide disparut lorsqu’il rattrapa son maitre, se tenant à sa hauteur. Il se racla la gorge pour éclaircir sa voix rauque :

    « - Je… Je ne m’en suis jamais servi. Mais je sais nettoyer ce genre d’armes. ».

    De sa main libre, il se gratta la nuque, affichant un sourire bref. Ils firent quelques pas avant que Dorian ne penche la tête sur le côté pour regarder Christos. Il ne soutiendrait pas longtemps son regard aussi dur que le marbre, mais il se devait de mettre quelques choses au clair :

    « - Ne vous inquiétez pas Maitre, je ne m’en suis jamais servi. Jamais. ».


    Le garçon baissa de nouveau la tête tout en resserrant le pommeau du glaive. Les lanières en cuir du sac de courses s’enfonçait dans sa peau. Il n’avait qu’une envie : rentrer. Continuer à marcher alors que l’atmosphère semblait de plus en plus tendue, c’était insoutenable. Il ne voulait pas passer pour un meurtrier. Il ne voulait pas passer pour un lâche. Il ne voulait pas passer pour un incapable. Mais la chaleur était de plus en plus pesante. Et quelqu’une le bouscula. Qui pouvait faire attention à un esclave, qui pouvait faire attention à lui ? Le sac glissa sur ses avant-bras, lui brûlant la peau. Ses narines frémissaient alors que l’un de ses genoux se posa à terre. La tête inclinée vers le sol, il ferma les yeux un instant avant de donner une impulsion sur le sol pour se relever. Mais sa jambe refusa de lui obéir. Il se retrouvait désormais un genou sur le sol, tremblant comme un enfant. Sa respiration s’accéléra. Il refusa de regarder autour de lui pour voir si la foule s’était arrêtée pour le jauger. Non,non,non. S’il commençait à penser à une chose pareil, il ne pourrait jamais se relever. Puis… Il ne voulait pas Le regarder. Si leur regard se croisait, l’esclave savait que le maitre punirait.

    Mais c’était inévitable ; des regards inquisiteurs se posèrent sur lui et sur son maitre. Et il était incapable de se relever. Le pommeau s’enfonça dans la paume de sa main jusqu’à lui faire grincer les dents. Non, que personne ne le regarde, que personne ne parle. Et pourtant, on chuchotait. Certains même se moquaient. La seule chose qu’il réussit à faire, c’était de pincer les lèvres.

    Dorian déglutit, sentant déjà les hurlements de Christos atteindre ses tympans. Il n’avait jamais été battu par son maitre. Mais peut-être que cet affront lui vaudrait quelques coups de fouet. Les yeux de l’esclave s'écarquillèrent à cette pensée alors qu’il leva la tête vers son employeur. De son air suppliant, il lui priait de ne pas lui en vouloir. Un léger murmure alors que des gouttes de sueur perlaient sur ses tempes :

    « - Je suis désolé… ».


    Ses jambes et son courage l’avait abandonné. Il se retrouvait seul face à son maitre et une foule d’athéniens qui n‘attendaient qu’une chose : que l’esclave soit battu en publique. Ô Seigneur, s’il aurait pu s‘enterrer dans la Terre Mère.
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Christos Anthony.
Christos Anthony
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MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptyMer 15 Sep - 17:00

    Lorsque Christos s'était engagé dans l'armée grecque, c'était davantage sur un coup de tête que par réelle envie. Il avait décidé de provoquer l'autorité paternelle en reniant ses engagements d' « héritier » du petit commerce de Pallas. Les premiers temps furent difficiles, au milieu d'une horde d'hommes bien plus forts et plus robustes que lui. Il avait peu de qualités – elles se comptaient sur les doigts d'une main – mais personne n'oserait mettre en doute sa détermination. Il réussit, non sans mal, à se faire une place au sein de l'armée et à y être respecté comme un bon soldat. Pour ce qui est d'Athènes, c'était différent : sa réputation était déjà toute faite, armée ou non. Suite à la réponse de Dorian, il hocha distraitement la tête. Il n'imaginait pas une seule seconde le romain se battre avec un glaive. Se battre tout court, d'ailleurs. Christos était habitué à le voir courber l'échine pour un oui ou pour un non, cet homme était né pour servir... S'apprêtant à poursuivre son chemin, un son lui écorcha l'oreille : quelqu'un venait de tomber et une voix s'éleva, dans un murmure pathétique à entendre. Le grec fit volte-face, découvrant le romain, un genou à terre, secoué de tremblements.

    Ses épaules s'affaissèrent, sous le poids des coups d'œil moqueurs jetés par les passants. Les chuchotements formaient un brouhaha incompréhensible dans la tête de l'athénien, mêlant rumeurs et reproches à son égard. Il avait honte. Tentant de ne pas se laisser démonter par ces médisances qu'il entendait, Christos s'approcha de Dorian. Il le darda d'un regard qui en disait long sur ses intentions. Lieu public ou pas, il était capable de tout. Capable de renverser un étalage en haussant le ton pour quelques drachmes comme capable de vomir son dégoût sur un romain affaibli par les mauvais traitements. Il aurait pu lui demander de se relever, il aurait pu lui tendre une main... il aurait pu avoir pitié. Certaines personnes avaient du cœur, ou un semblant de compassion pour plus faible que soi. Christos était insensible. Totalement hermétique à toute forme de sentiments. Il ne lâchait pas des yeux Dorian. Agacé par les murmures, en colère contre cet être si faible, honteux... Et si c'était la punition que lui réservait Athéna ? Elle refusait toujours de répondre à ses prières, elle ne l'écoutait pas. Il avait commis beaucoup d'erreurs, et il ne les assumait pas. Il n'assumait jamais ses échecs, il ne voulait pas. Que souhaitait la déesse de la sagesse ? Qu'il aide son esclave ? Qu'il montre aux autres qu'il n'était pas si pourri que son père ? En proie à de nouveaux maux de tête, il tiqua légèrement. Le soleil était fort, les chuchotis étaient insupportables, la vision du romain déshonorante... Sa main tressaillit. Il ramassa le glaive, lentement, sans quitter des yeux Dorian. Le maladroit aurait mérité une entaille, un coup de lame. Les muscles de sa mâchoire se contractèrent. Lequel des deux était à blâmer ? Au fond de lui, Christos savait que, s'il avait conservé un semblant d'humilité, il ne serait pas debout, en faux protecteur, face à un homme en position d'infériorité. Seulement, Zeus lui-même n'aurait pas pu changer le cours du temps.

    Après une hésitation, il frappa l'esclave au visage, avec pour seule arme son poing fermé. Les yeux révulsés, il sentit, pour la deuxième fois de la journée, son nez saigner. N'y prêtant pas attention, il jeta l'arme sur le sol, à quelques centimètres de Dorian et l'attrapa par le tissu de sa tunique. « J'espère que tes dieux seront indulgents face à ta faiblesse, romain. » Cracha-t-il. « Tu vaux beaucoup moins que ton prix. » Il plongea son regard brun dans celui de son serviteur, avant de le lâcher brutalement et de le laisser mordre la poussière athénienne. Il nettoya furieusement le sang qui souillait son visage, puis décrocha un coup de pied dans l'estomac de l'esclave. Le grec n'eut pas la patience d'attendre que la victime reprenne son souffle, ses esprits, et puisse se relever. Il le saisit de nouveau par les guenilles qui l'habillaient et le força à se hisser sur ses pieds. Dans sa jeunesse, Christos aurait été incapable de dominer un homme de cette manière, il n'avait pas la carrure, pas les muscles, et surtout, il n'avait pas cette haine qui guidait ses moindres faits et gestes. Il avait prié pour ne pas devenir l'écœurant portrait de son père... Il s'était juré de ne pas lui ressembler. Aujourd'hui, ce n'était pas Christos que l'on voyait, mais Pallas, en plus jeune. Pallas aurait réagi ainsi avec un esclave. Pallas l'aurait haï, humilié... Son fils reprenait « dignement » le flambeau. Sa main le démangeait. Quelques instants plus tôt, il s'était reposé sur la compagnie de Dorian pour oublier une pesante solitude d'ivrogne. Et en l'espace d'une seconde, il avait retrouvé tout le mépris qu'il vouait à cet esclave, qui n'avait rien demandé. Il ne l'avait jamais frappé de la sorte, et encore moins en public. Il n'avait jamais eu recours au fouet. Aux menaces, peut-être, mais pas au fouet. Il avait rarement levé la main sur Dorian, ne trouvant aucun prétexte pour le punir de quoique ce soit. Il fallait croire qu'aujourd'hui, il cédait à la tentation de posséder pleinement quelqu'un, et non de simplement l'employer. Toutefois, le malaise que Christos éprouvait face aux regards des autres n'était pas étranger à son comportement soudainement si violent. Il ne supportait pas être remarqué pour quelque chose qui pouvait attirer les moqueries d'autrui. Un esclave qui tombait et qui ne se relevait pas était le 'quelque chose' en question. Il relâcha une nouvelle fois Dorian, le cœur battant.

    Plus tôt dans la matinée, le romain l'avait presque supplié de ne pas se faire remarquer... Le retournement de situation était presque cruel. Celui qui avait voulu être discret était maintenant devenu le centre de toutes les attentions, dans sa pitoyable posture d'homme soumis à un autre. Christos passa sa main libre sur son front, où perlaient quelques gouttes de sueur. Lorsqu'il était en proie à un doute, il levait naïvement les yeux au ciel, en croyant qu’Athéna saurait choisir à sa place. Un rictus méprisant défigurait son visage fatigué. Il ne laissa aucune minute de répit au malchanceux de cette histoire et le traîna par la peau du cou – littéralement... – à quelques mètres de l'attroupement. Juste assez pour feindre leur départ et dissiper ces regards lourds de reproches. « C'est bien le fils de son père, entendit-il, il n'a aucun respect pour les autres. » Maltraiter son serviteur en public était une horrible humiliation. Les esclaves se savaient déjà inférieurs aux autres, mais certains maîtres croyaient bon d'en rajouter en les traitant comme des bêtes, sans craindre de représailles. Christos s'était gardé d'infliger cela à Dorian, jusqu'à ce jour. Il approcha son visage du sien, les dents serrées. « Il ne faut jamais tomber. » Souffla-t-il. Était-ce un reproche ou un conseil ? Venant du grec, il s'agissait ni plus ni moins d'un sermon haineux. « Tu mériterais le fouet, peut-être qu'il t'aiderait à t'endurcir... Mais tu me fais trop pitié. J'imagine qu'un seul coup pourrait te tuer. Bon à rien va... » Le grec avait été méprisé à cause de son larbin. Non seulement certains trouvaient qu'il n'avait nul besoin d'une boniche et d'autres avaient déjà eu affaire avec le frêle Dorian qui était revenu, assez souvent, avec des blessures qui n'étaient pas de la main de Christos. Cela dit, ce dernier ne cherchait jamais à défendre le romain, au contraire. Il était capable de prendre un malin plaisir à le martyriser, surtout lorsqu'il était éméché... « Tu me dégoûtes. » Furent les derniers mots qu'il cracha à la figure émaciée du jeune homme. Cet excès de violence se retournerait-il contre lui ? Pour le moment, l'athénien se contentait d'assassiner Dorian du regard avec, au milieu de ses idées noires, une seule interrogation : à quoi le mènerait cette brutalité gratuite ? S'il n'avait pas été si furieux, il aurait eu honte de lui-même.
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Dorian Fabius.
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MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptyMer 15 Sep - 18:51

    Ses paroles n’avaient pas été entendues. Combien de fois avait-il prié les Dieux pour lui donner une force qu’il ne possèderait jamais ? Ses mains entrelaçaient contre son cœur, regardant le ciel et priant comme un fou à la recherche de l’illumination divine. Mais aucuns Dieux n’avaient daigné poser le regard sur lui ni écouter ses supplications. Toujours seul face à la colère des mortels. Il avait au moins de quoi se réjouir ; jamais la foudre s’abattrait sur lui pour son manque de fidélité. Combien de fois aurait-il pu arrêter de les servir ? Après tout,cela ne lui apporter strictement rien. Lorsqu’il priait pour manger, il n’obtenait qu’un peu de pain dur. Lorsqu’il priait pour sourire, les larmes lui montaient vite aux yeux empêchant un rictus de se former. Lorsqu’il priait pour être heureux, le malheur s’abattait sur lui. Toujours. Toujours et toujours les mêmes choses. Cela en devenait presque prévisible. Pitoyable.

    A ce même instant, il pensa aux Dieux. Il ne cessait ses prières latines qui tournoyaient comme des ritournelles à l’intérieur de son crâne alors que ses yeux fixaient Christos, le souffle coupé. Ne dit-on pas que sans les Mortels et Croyants, les Dieux n’existeraient pas alors que l’inverse est toujours à vérifier ? Sa foi venait de retomber. Jamais il n’aurait cru être abandonné de la sorte. Il se sentait si seul alors qu’une foule était en train de parler sur son dos et celui de son maitre. Il se sentait si seul alors que les yeux brûlants d’animosité de son supérieur lui transpercer la rétine. Ses lèvres tremblaient légèrement alors qu’il n’arrivait pas à détacher son regard de celui qui semblait hésiter à lui tendre la main. Oui… Il finit par lui tendre la main…

    En effet, la main fut tendue, tendue jusqu’à s’abattre finalement sur son visage. Tout d’abord surpris, les yeux de l’esclave romain s’agrandirent pour s’écarquiller complètement. Le coup n’était pas réellement fort,non. Juste assez pour le faire vaciller et tomber au sol. Dorian avait déjà reçu des gifles et des coups de poings bien plus fort. Ce n’était pas réellement le coup qui l’avait fait chuter mais plutôt le geste en lui-même, le fait que le coup ait été porté. Trop étonné et affaiblit, il ne put que rester au sol, les lèvres entrouvertes et le regard vide. C’était la première fois que Christos se permettait de lever la main sur lui. Il y avait toujours des paroles, certes déchirantes, mais des paroles. Ce n’était que des mots, rien de concret. Il eut à peine le temps de réaliser qu’un poing venait de s’abattre sur sa mâchoire qu’il fut redressé comme un vulgaire jouet. Ses cheveux salis par la terre et la poussière vinrent se plaquer contre sa tempe alors qu’il ne savait même plus s’il devait respirer.

    Dorian se retint de hoqueter. Jamais il n’avait vu une telle haine, une telle rage dans ce visage qui, il y avait moins de quelques minutes, se pressait de rentrer peut-être même pour éviter à son esclave de rester près de la foule. Les dents de l’esclave claquèrent alors que ses yeux bleus brillaient de honte. Ce malaise qu’il ressentait face aux autres, à la foule athénienne s’agglutinant près d’eux pour observer, ce n’était rien face à la colère de Christos. Cette colère grandissante de seconde en seconde.

    Après tout ce qu’il avait entendu et vécu, il crut que plus rien ne pourrait l’atteindre. Aucune carapace ne pourrait être aussi dure que celle qu’il s‘était forgé. Aucune. Elle était résistante. Sa forteresse. Rien qu’à lui. Son petit monde, sa petite bulle qui l’empêchait de sombrer. Christos venait de crever cette bulle, d’engloutir ce monde sous les mers, de réduire cette forteresse à néant.

    Le romain ne connaissait absolument rien du passé de celui chez qui il vivait. Juste des ragots, quelques messes-basses des habitants, des rumeurs. Il ne connaissait pas Pallas. Il ne savait pas quel genre d’homme il pouvait être. Mais ce qu’il vit à ce moment-là n’était pas le patriarche de la famille de Christos mais bel et bien cet oncle répugnant, qui empestait à des kilomètres le vin et la brutalité masculine. Les yeux de Dorian se plissèrent alors que ses lèvres se pincèrent. Il connaissait ce regard. Il connaissait ces gestes. Il savait pertinemment que cela ne s’arrêterait pas là. Le romain transpirait comme jamais. C’était comme s’il se retrouvait il y a un peu plus de dix ans dans cette sorte d’étable, allongé contre le sol, sa bouche s’égratignant contre la paille dorée. C’était comme s’il redevenait l’enfant battu et violenté. Ce regard l’avait tué.

    Une fois les mots de son maitre crachés devant la foule, il le lâcha, le laissant retomber au sol comme un vulgaire objet que l’on a assez utilisé. Au sol et sans défense, il se prépara instinctivement à protéger son ventre et cela ne manqua pas ; aveuglé par la colère d’être ainsi humilié, Christos lui envoya un coup de pied qu’il n’était pas prêt d’oublier. Se mordant la lèvre pour ne laisser échapper aucun son, Dorian se recroquevilla sans se rebeller face au coup donné. Après tout, il n’était qu’un esclave rien d’autre. Il n’avait pas le droit de dire que c’était injuste et qu’il souffrait autant que son maitre de cette humiliation. Car oui, c’était injuste. Sa vie entière était une injustice.

    Une énième prière.

    * Agnus Dei
    qui tollis peccata mundi
    miserere nobis *


    Ses pieds quittèrent le sol alors que son âme suppliait d’être pardonné. Il entendit un léger craquement lorsque Christos le souleva ; la couture qui lâchait. La manche de ce qui semblait être un haut usé, troué et salis par le travail, se décousit et son épaule semblait visible. Une épaule tout aussi affaiblie que le tissu. Désormais debout, il se jura de ne plus jamais retomber.

    De nouveau, il courba l’échine en essuyant ses lèvres d’un revers de main. La respiration haletante alors que la foule faisait de plus en plus de bruit, l’esclave sentit le contact chaud de la peau de Chistos s’enfoncer dans son cou. Bientôt, il en occulta la chaleur pour ne ressentir que ses ongles se planter dans sa nuque. Tiré comme un vulgaire animal hors de la foule, il se sentit tout de même soulagé de s’en aller loin des regards indiscrets. Un long soupire de soulagement alors que ses yeux se fermèrent une demi-seconde.

    Loin des autres, loin de cette foule horripilante et oppressante, Dorian manqua de tomber lorsque son maitre le lâcha enfin. Le poids de la culpabilité. Christos approcha son visage près de celui de son esclave et lui souffla les pires remarques qu’ils soient. Forcé de soutenir ce regard qui lui tiraillait l’estomac, il dut faire face une nouvelle fois aux mots qui l’assassineraient tôt ou tard.

    * "Tu me dégoutes"... Pourquoi ?*.

    Le dégout était-il pire que la déception ?

    La peur au ventre, la fatigue et la faim… Dorian inspira vivement alors que ses yeux commençaient à se remplir de larmes. Il déglutit en pinçant les lèvres pour se retenir de pleurer. Il baissa une nouvelle fois la tête, serrant contre lui le panier de course. Le souffle court, il secoua vivement la tête pour acquiescer. Il ne lui fallut pas plus d’une seconde avant de se ressaisir. Les yeux emplis de détresse avait disparu, laissant place à ce regard vide et soumis habituel. Malgré cela, il se sentait toujours aussi mal et rajoutant à sa nausée ce mal de crâne. Il avait l’impression que l'on tambourinait à l’intérieur pour s’amuser et lui rappeler qu’il devait toujours avoir mal.

    Désespéré, tremblant, n’espérant qu’une chose ; rentrer, Dorian releva la tête avant de la pencher sur le côté.

    « - Je suis désolé… ».

    Sa voix rauque dérailla vers la fin. Le pardon était la seule chose qu’il lui restait pour obtenir un peu de tranquillité. Il ne voulait plus jamais voir ce visage effrayant qui le faisait frémir. Il préférait de loin l’ivrogne venant s’affaler sur sa couche après avoir vomi. Au moins, l’ivrogne bien fatigué et soulagé de la tension constante n’avait pas à passer sa colère sur l’esclave qu’il était.

    Esquissant un sourire forcé pour détendre l’atmosphère, il soupira :

    « - Peut-être que rentrer… Maintenant… ».
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Christos Anthony.
Christos Anthony
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MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptyVen 24 Sep - 23:35

    Christos savait qu’il avait abusé d’une autorité qui ne lui appartenait pas. Il méprisait et humiliait un homme qui méritait une situation meilleure, mais la vie était faite de telle sorte que cela en soit ainsi. Les dieux décidaient des destins, et personne n’échappait à leur justice. Cependant, les divinités ne forçaient pas non plus la colère humaine : l’athénien était responsable de ses actes, qui seraient punis tôt ou tard. Désormais à l’écart, il ne cessait de faire les cent pas, en attendant que son calme revienne. Chaque regard haineux qu’il adressait à Dorian lui arrachait un sentiment de dégoût et lui brûlait la rétine. Lorsque le romain crut utile de s'excuser de nouveau, Christos enfonça son poing dans sa bouche, en allant s’adosser contre un mur. Le pardon. S’il hurlait encore, il se remettrait à frapper et à attirer les curieux. Rassemblant tout le sang froid dont il était capable, le grec mordit violemment ses jointures avant de répondre au sourire de Dorian. Du moins, si l’on peut appeler l’affreuse grimace qui vint orner son visage « sourire ». Il savait que ce n’était pas de l’insolence, mais tous les prétextes étaient bons à prendre pour enfoncer le clou. « ‘Je suis désolé’ sont les premiers mots qui sont sortis de ta bouche, enfant ? Tes parents t’ont appris à t’excuser pour tout et n’importe quoi ? » Il chatouillait un point sensible en s'en prenant aux origines de Dorian. Christos devenait rapidement odieux, un rien le froissait. Il était dominé par la colère, et même s'il mettait toute son énergie à se calmer, une lueur hargneuse continuerait de briller dans son regard glacial. L'athénien aurait voulu qu'Arès fasse apparaître un fouet devant lui, avec des lanières de cuir capables d'imprimer le plus profond des sillons dans une peau humaine. Chaque flagellation serait comme un aller-retour vers Hadès ou une brève noyade dans les eaux du Styx. Cependant, le grec aurait été capable d'user d'une telle arme sur un esclave, malgré toute le mépris qu'il lui portait... Le fouet punissait les criminels. Pas les innocents, ni les victimes. Il n'avait pas beaucoup de coeur, mais il restait un humain qui avait certains principes. De toute façon, le fouet n'aurait fait qu'aggraver les choses ; Dorian était faible, être flagellé pour une simple bousculade l'achèverait en quelques coups. Christos ne pouvait pas se permettre de perdre un esclave si chèrement payé. « Si tu veux revoir Rome en un seul morceau, apprends à rester droit et à ne pas fléchir. Même le doyen de la cité est plus robuste que toi. » Lâcha-t-il en levant les yeux au ciel. Il marqua une pause embarrassante, après avoir rapidement médité sur ses paroles. Quel esclave espérait un jour revoir sa contrée natale, si ce n'est les plus optimistes ? Ce n'était sûrement pas un maître tel que Christos qui allait organiser un voyage de quelques semaines dans la cité romaine, uniquement pour accorder un peu de tranquillité à son serviteur. Et même s'il l'avait voulu, il n'avait pas un sou pour quitter Athènes... juste assez pour quelques courses de routine.

    Rentrer... C'était la solution idéale. Quelle idée d'aller au marché ! L'athénien aurait mieux fait de rester étendu sur sa couche, vomir tout le vin qui s'attardait dans son estomac, blâmer les dieux et hurler des insanités inconscientes à Dorian... comme il l'avait toujours si bien fait. Pourquoi bousculer les habitudes ? Pour de l'argent ? Les conséquences parlaient pour elles-mêmes : le grec était plus qu'irrité et sa main avait été bien trop leste sur son esclave, qui aurait pu éviter une énième humiliation publique... « C'est ça, rentrons. Tu pourras tomber autant que tu veux. » Ajouta-t-il, ironique. Seulement, Christos aurait préféré être foudroyé par Zeus lui-même, noyé dans les eaux du Styx par Poséidon et torturé de toutes les façons qui soient par Hadès plutôt que de repasser par la place du marché. Les gens parlaient encore, et continueraient de le faire jusqu'au prochain scandale. Comme s'il n'y avait pas assez de rumeurs sur son compte... L'athénien prit une allée différente, qui allongeait légèrement leur trajet de quelques mètres, tout au plus. Cependant, ils ne croiseraient ni commerçants ni « témoins ». Même un paresseux comme Christos était capable de prendre un chemin moins pratique afin d'éviter les remarques d'autrui. Tout en marchant, le regard fixé sur un point droit devant lui, il lança quelques mots, sans se départir de son timbre méprisant : « La prochaine fois, dis-le moi si tu es trop 'nerveux' ou fatigué pour aller au marché... Je peux me débrouiller avec des voisins. Mais n'en profite pas non plus. » Il y avait toujours un « mais » avec Christos, et surtout lorsqu'il s'adressait à Dorian. À chaque fois qu'il offrait quelques brèves secondes d'espoir, il se sentait obligé d'ajouter ce que l'on ne voulait pas entendre. Toujours. Malgré ces paroles, l'esclave devait rester méfiant. Le grec tenait parole... quand il s'en souvenait et que cela l'arrangeait. Après... seuls les dieux peuvent le dire.
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Dorian Fabius.
Dorian Fabius
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MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptyDim 26 Sep - 17:34

    Instinctivement, Dorian fit deux pas en arrière. Son jeune maitre semblait encore tellement énervé… Même ivre mort, il ne l’avait jamais vu dans cet état. Et pourtant, les Dieux savaient que Christos rentrait souvent complètement saoul, hurlant sur tout et n’importe quoi, hurlant sur son pauvre esclave comme pour chercher un fautif ou sur une chaise dans laquelle il venait de se cogner. Parfois, cela faisait sourire Dorian car ce n’était ni plus ni moins qu’une colère passagère, juste une petite influence de l’alcool. Là, c’était réel. Cela se voyait sur le visage de l’athénien ; il se retenait sincèrement de continuer à le frapper. Et Dorian en avait froid dans le dos. Reculer ne changeait strictement rien à la situation, si ce n’était que repousser l’inévitable. Dorian déglutit difficilement, regardant en coin celui qui venait de l’humilier. Même s’ils étaient désormais à l’écart des autres, l’esclave n’était pas à l’abri de la violence soudaine de son maitre. D’ailleurs, comme pour contenir ses excès de violence, Christos enfonça son poing dans sa bouche et le mordit jusqu’à ce que ses jointures deviennent blanches, puis lentement, rouges. Dorian recula de nouveau, mettant devant son visage une main, croyant que cela pourrait le protéger du coup. Heureusement pour lui, Christos vint se plaquer contre un mur pour réfléchir. Sa main retomba lourdement contre son corps frêle alors qu’il baissait la tête. Pourquoi avait-il tellement peur de lui ? C’était ridicule… Depuis le temps que le jeune romain travaillait pour l’athénien, il le connaissait. Dorian savait qui était en réalité Christos ; une âme qui se cachait sous un masque pour ne pas se dévoiler aux autres. De nouveau, Dorian soupira. Qu’il était naïf… Naïf. Que savait-il en réalité de celui qui l’employait ? Un homme blessé par un secret bien trop lourd à porter que jamais il ne dévoilerait, un ivrogne qui se noyait dans l’alcool et festoyer pour oublier, un paresseux qui aimait qu’on lui mâche le travail, un homme qui se servait des autres pour se hisser et avancer. Non. En réalité, Dorian ne savait rien de Christos, et, le réaliser le fit frémir. Comment avait-il put imaginer une seule seconde qu’il pourrait être en sécurité derrière les remparts de cette petite et modeste demeure qu’il entretenait depuis désormais plusieurs mois ? Les hommes étaient-ils aussi décevants ?

    Dorian pinça les lèvres, retenant de nouveau des larmes d’humiliation, de douleur et de déception. S’il savait. Parfois, Dorian n’avait qu’une seule envie ; se pencher en avant et hurler. Hurler jusqu’à ce que ses poumons et se gorge le brûlent. Qu’il ne reste plus rien à l’intérieur de lui. Qu’il vide tout cet air impur qui l’empêchait de vivre et respirer. Christos avait des secrets qu’il ne voulait dévoiler, Dorian aurait les siens. Il ferait en sorte que jamais personne ne sache pour sa vie avant de fouler le sol grecque. Sa confiance en cet être détruit par le passé venait de se briser. Il se rendit très vite compte qu’il devrait faire ce qu’il avait toujours su faire : exécuter les ordres. Ni plus, ni moins. Se taire. Ne rien montre ni éprouver. Dorian inspira profondément, retenant une rafale de sanglots qui ne demandaient qu’à être expulsé. Mais il avait toujours été plus fort que ça. Quel paradoxe ; être aussi fragile physiquement, avoir du mal à résister à la fatigue et aux coups et pourtant arriver à se forger une carapace tellement inaccessible…

    Lentement, Dorian releva la tête avant de la pencher sur le côté, l’air peiné. Avait-il réellement envie de retourner à Rome ? Plus il avançait dans le temps et plus il se rendait compte que là-bas, rien ne lui manquait. Bien sur, sa tante, sa chère tante… Sa douce mère de substitution. C’était tellement égoïste mais, n’était-ce pas mieux pour elle de mourir maintenant ? Elle y gagnerait tellement… Elle n’aurait plus à supporter des enfants capricieux et tellement irrespectueux, elle n’aurait plus à se soucier de ce mari qui lui donnait peu d’importance et qui ne s’occupait jamais d’elle. Dorian chassa vite cette idée de son esprit. Son pèlerinage l’avait mené à Athènes pour une seule chose, une unique chose ; trouver un remède au mal de sa tante. Et il était encore bien loin de le trouver. Désormais esclave, il pensa que revoir Rome était sûrement impossible et jamais Christos ne le libèrerait de ses chaines. Instinctivement, il regarda ses poignets ; malgré les os saillants, ils n’étaient pas enchainés. Ils étaient libres. Un bref sourire triste. C’était donc ça le concept d’esclavagisme, être enchainé à quelqu’un par des liens invisibles. Ses bras retombèrent, laissant sa tête baissée. Comme d’habitude.

    Doucement, Dorian acquiesça. Il n’espérait que ça : rentrer. Mettre fin à ce calvaire. Il se mordit l’intérieur de la joue en suppliant ses genoux de ne plus fléchir, du moins, jusqu’à ce qu’ils arrivent à la petite maison. Et dire que c’était son premier écart. Il pria les Dieux pour que cela soit le dernier de sa vie. Les hommes, en particulier les esclaves, ne semblaient pas le droit à l’erreur. Le pardon était une vertu que les hommes ne pouvaient se payer. Épris d’un nouvel élan religieux, il leva les yeux vers le ciel bleu, cherchant en vain une âme céleste qui pourrait lui pardonner. Ses yeux se plissèrent ; il ne voyait que Sol et son soleil radieux. Si au moins il avait plu…

    D’un pas lent et las, Dorian suivit son maitre. Il se frotta la joue d’un revers de main. La douleur était passée. Très vite, le jeune romain se rendit compte qu’ils ne passaient pas par la place centrale. C’est vrai que les gens devaient continuer à parler. Son cœur se serra. Les gens semblaient tellement outrés, choqués du comportement de l’athénien envers son esclave… Pourtant, personne n’avait bougé. On l’avait regardé tomber sans l’aider à se relever. C’est vrai, le spectacle était tellement intéressant, il fallait rester aux premières loges plutôt que de monter sur scène. Mais peu importait à l’esclave ; Christos faisait bien. Repasser par le marché aurait été suicidaire.

    A force de marcher, d’essayer de suivre le rythme imposer par Christos, Dorian sentait la plante de ses pieds le brûler lentement. Serrant les dents, comme à son habitude, il tenta de s’accoutumer à cette douleur qui l’empêchait de garder un rythme constant. Mais bien décidé à montrer sa force, il ne laissa rien paraitre et continua à marcher sans ciller. Si seulement il n’y avait que ses pieds qui l’empêchaient de marcher… Dorian examina le dos de son maitre, écoutant soigneusement ses paroles avant de les oublier. Ce ne serait jamais possible, c’était un esclave. Il était là pour ça ; aller au marché et combler les besoins de son maitre. Revenant à sa hauteur, la tête toujours et toujours et Ô grand toujours baissée, il acquiesça d’un signe de tête pour lui montrer qu’il avait compris. Même si tous deux savaient très bien que ce genre de chimères ne se réaliserait jamais.

    Esquiver la grande place du marché, l’Agora toute entière se révéler être chose plutôt facile en réalité. Mais, mieux ne valait pas avoir peur de marcher. Et pour une fois, les deux hommes semblaient se retrouver sur le même piédestal. Les murmures et ragots étaient tellement oppressants.

    Le sac de course toujours contre lui, il respira cette odeur de fruits et légumes frais. Des fruits et légumes frais, qu’après sa petite démonstration de sa faiblesse en publique, qu’il n’était pas prêt de goûter de si tôt. Peut-être que les misères de la matinée s’en iront lorsque Dorian aura remplit l’estomac de son maitre. C’était une possibilité, une éventualité à ne pas négliger. Après une grande inspiration, un peu de courage et de volonté, tout cela serait oublié :

    « - Une fois arrivés, vous n’aurez qu’à vous reposer, je ferais de quoi manger et je ferais un peu de rangement. ».


    A la fin de sa phrase, ses lèvres se pincèrent alors qu’il reconnaissait enfin la rue ; ils n’étaient plus très loin de la petite bâtisse. La dernière petite ruelle passée, ils purent regagner une grande allée. Il y avait encore du monde qui ne s’était pas pressé jusqu’au marché, mais les rues semblaient beaucoup moins remplies qu’à l’Agora. Léger soupire de soulagement pour le romain. Tâter une fois de plus à la densité de la population athénienne l’aurait sûrement achevé. Les Dieux avaient sûrement entendu ses prières… Ou presque. Pratiquement heureux de rejoindre la maison, ses yeux s’écarquillèrent soudainement ; un coup dans le tibia et il sentit lentement ses pieds décoller du sol. Il n’était pas d’une nature maladroite… Mais deux fois en une journée, cela sentait la malédiction à plein nez. En fait, ses prières n’avaient aucun impact. Ou peut-être un ; lui attirer les foudres divines. Cela devait amuser les Dieux de jouer avec l’esclave romain le plus faible des deux Grandes Puissances.

    Une fois les courses de la matinée éparpillées au sol et que son menton vint râper le sol poussiéreux de la ruelle, Dorian se maudit d’avoir pu penser que c’était les Dieux qui s’amusaient avec lui. Une épreuve, certainement, mais ce n’était pas la faute des Dieux. Il toussa en grimaçant et en tirant la langue. La terre avait toujours ce goût aussi désagréable. Infecte. L’esclave tenta de se relever mais le ton d’une sandale vint se poser sur ses doigts, l’empêchant toute tentative pour se redresser. Lentement, il leva la tête. Nul besoin de se poser la question de qui cela pouvait être : des éclats de rires, de la violence gratuite… Ce ne pouvait être que des gymnètes. Le souffle court, Dorian chercha le regard de Christos. Les connaissait-il ?

    « - Alors, fils de Pallas, tu sors ton chien ? Ne devrais-tu pas prendre le fouet la prochaine fois ? ».

    Des rires, toujours des rires narquois et agressifs. La matinée avait déjà très très mal commencé. Il était hors de question de supporter quelque chose d’autre, quelque chose de plus. Il était au bord de la crise de nerfs et il sentait déjà les larmes lui monter. Etre réduit à l’état d’animal par celui qui le possédait était une chose, et encore, mais par un autre, c’en était trop. Même si peu rebelle, son cerveau ne pouvait en encaisser davantage ; avec une force insoupçonnée, il retira violemment ses doigts de dessous la chaussure avant de se relever et de toiser du regard le colosse qui lui faisait face. Sa main égratignée saignée un peu mais il s’en moquait. Ses jambes tremblaient comme s’il allait tomber une troisième fois mais il s’en moquait. Ses yeux brillaient, attendant un simple battement de cils pour pouvoir laisser les larmes couler, mais il s’en moquait. Cette insolence allait certainement lui attirer des ennuis mais il s’en moquait. S’il devait mourir aujourd’hui sous les mains d’un gymnète, qu’il en soit ainsi. Il n’osa même pas adresser un regard à son employeur, il ne le pouvait tout simplement pas. S’il le regardait, ce serait avec ce même regard haineux qu’il adresser à l’homme qui se dressait devant lui. Un regard haineux qui en disait long.

    *Sauve-moi. Ou laisse-moi crever.*
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Christos Anthony.
Christos Anthony
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MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptySam 2 Oct - 13:12

    Ne se préoccupant désormais plus de l’esclave, Christos avançait rapidement à travers les diverses ruelles contournant l’Agora. Il ne souhaitait qu’une chose : rentrer. S’éloigner des murmures moqueurs, des mauvaises langues, des fausses rumeurs… Il méritait sûrement ce qui lui arrivait, il le cherchait sans le vouloir et fermait les yeux, parce qu’il n’avait rien à attendre des autres, mais il ne supportait pas ces constantes comparaisons avec son père. L’athénien poussa un soupir agacé, en tentant de chasser de sa tête ces dernières minutes. À partir du moment où Dorian était tombé. Il l’aurait laissé se relever seul et trottiner pour atteindre la hauteur de son maître, sans lui jeter un seul regard. Au lieu de feindre l’ignorance, il avait préféré lever la main et se défouler, sans raison, sans regret. Une partie de lui-même avait honte, la partie qui restait connectée en permanence avec sa défunte sœur. Dans l’adulte arrogant et méprisant, il y avait toujours cet enfant jovial, si opposé à son actuelle personnalité mais il s’effaçait avec les années, au fur et à mesure que la carapace de Christos s’épaississait. Sa jumelle l’aurait haï si elle l’avait vu frapper un homme à terre. Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule en direction de Dorian, avant de le détourner. Il était obsédé par Néphélie, définitivement. Ce fantôme semblait se trouver à tous les coins de rues, le narguant d’un regard désolé. Ses épaules s’affaissèrent, tandis que sa marche hâtive se ralentissait progressivement. Le grec hocha à peine la tête suite aux paroles du romain, l’ayant écouté d’une oreille. Se reposer, il y comptait. Il ne parviendra pas à trouver le sommeil, alors il se réveillera et restera allongé, à fixer le plafond, hagard. Ou il sortira après une brève sieste, seul, et gagnera les sommets de l’Acropole afin de méditer. Peu importe.

    Il aurait préféré que ce soit la voix de Dorian qui le ramène sur terre. Les tons méprisants d’une interpellation le firent faire volte-face. Son esclave et leurs courses gisaient sur le sol, aux pieds (et même sous) de quelques uns de ses « camarades ». Il croisa les yeux interrogateurs du romain, avant de toiser les nouveaux venus. Oui, il les connaissait. De loin. Ils n’étaient qu’une bande de gymnètes parmi tant d’autres, peut-être trop arrogante pour qu’il puisse s’entendre avec. Las, il ne prononça mot. Il était partagé entre l’envie de rentrer à la maison sans se poser de questions et celle de participer à l’humiliation de Dorian. Cependant, il ne se sentait pas proche de ces imbéciles, pas assez se joindre à leurs moqueries. Les dieux savaient pourtant que Christos ne ratait jamais une occasion de ridiculiser son esclave, mais s’il le faisait, c’était seul ou en compagnie d’amis. Il ne voulait pas étendre le phénomène jusqu’aux inconnus. Si tous les Athéniens pensaient que le fils de Pallas permettait à n’importe qui de brutaliser son romain d’esclave, où allait le monde ? Son serviteur ne serait plus qu’un repas pour les charognards. Les rires et les moqueries s’amplifiaient, avant d’être brusquement rompus. Le jeune homme fixa Dorian, qui venait d’arracher sa main de l’emprise de la sandale d’un des gymnète. Ce dernier, ne s’y attendant pas, vacilla légèrement avant de lancer un regard assassin au « chien », comme ils l’avaient interpellé un peu plus tôt. Cet élan soudain de résistance étonna Christos, l’en laissant pantois. Comme la bande qui les encerclait, d’ailleurs. Depuis quand ce romain, l’échine éternellement courbée et le regard rivé sur le sol, se défendait-il ? Habituellement, il mordait la poussière avant même que l’on lui demande. L’athénien connaissait bien mal ce larbin, finalement… Il réservait quelques surprises, poussé à bout. Intéressant à savoir, pour l’avenir. Un des soldats se tourna vivement vers Christos : « Apparemment, tu ne sais pas le dresser. Ca s’apprend… » Assena-t-il en crachant les derniers mots. Evidemment, ces conversations n’auraient pas lieu si le pauvre assumait son statut et n’avait pas un esclave à sa suite. Il serait même moins méprisé, mais on ne change pas facilement un être tel que l’athénien. Il avait décrété qu’il avait besoin d’un coup de main, il n’avait pas attendu pour satisfaire ce désir.

    « À moins qu’il soit plus fort que toi. » Répondit calmement Christos, en arquant un sourcil. « C’est probable, non ? Je t’ai battu plusieurs fois, il peut faire pareil. » Termina-t-il sur des notes narquoises, un sourire en coin scotché sur le visage, devant la grimace de l'autre. Il ne savait pas vraiment où il s’aventurait, en jouant avec les extrêmes. Défendre Dorian ? Le laisser se faire violenter ? Provoquer pour lui quelques soldats trop pauvres pour être hoplites ? Allait-il lui rendre service ou au contraire, l’enfoncer jusqu’au cou dans des ennuis qu’il n’aura pas demandés ? Affrontant tour à tour les regards des gymnètes, le grec hésitait toujours. Il ne cherchait pas à être accepté, ni à être respecté par une maigre poignée d’hommes… Sa « classe » de soldat serait toujours méprisée par les autres, alors qu’importe ce qui adviendrait. Il avait ses propres amis – et ces derniers étaient suffisamment durs avec Dorian. Christos ne rendait pas la vie facile à son esclave, au contraire, mais il souhaitait davantage rentrer chez lui que de battre à mort un malheureux qui en avait trop bavé pour une seule matinée… Et, inconsciemment, il était abruti par l’image lointaine de sa sœur. Il ne voulait pas terminer la journée sur une note violente pour une fois. Il avait même envie que tout cela se termine vite. Il essaya de croiser le regard de Dorian, puis entendit vaguement : « À quoi est-ce qu’il te sert ? Pour ce que tu fais… » Manifestement, le romain ne serait pas le seul à être provoqué. Christos se braqua immédiatement, il détestait qu’on lui fasse des remarques sur son mode de vie. « Crois-moi, si j’avais un fouet, je ne l’utiliserais pas sur lui en ce moment. » Répondit-il du tac au tac, évitant maladroitement la question de l’autre. Pourtant, il ne mentait pas : il souhaitait réellement voir cet imbécile jeté à terre par quelques coups de fouet.

    L’athénien se dirigea vers Dorian, en distribuant des coups d’épaule, et lui désigna les courses, toujours au sol. Après l’avoir attrapé par la nuque, il murmura entre ses dents : « Si tu veux rentrer gentiment, ramasse. Vite. » Tout en parlant, il enfonçait ses ongles dans la peau rougie du romain. Puis il se tourna vers les gymnètes. « Vous vous amuserez une autre fois, j’en ai besoin. » ‘En’ ou comment renvoyer le jeune homme à un statut de vulgaire animal. Quelques ricanements accueillirent sa remarque, tandis qu’il laissait Dorian s’occuper de leurs courses. Il avait été surpris de le voir se relever, il l’obligeait de nouveau à remettre un genou à terre. Pourtant, Christos se posta devant lui en attendant qu’il rassemble les courses. En possible protection ? Quoique, c’était bien peu pour se faire pardonner d’une humiliation publique, beaucoup trop peu. Les dieux le testaient-ils ? Ils lui donnaient peut-être une chance de racheter – à moitié – sa conduite. Il jeta un coup d’œil pressé derrière son épaule à l’adresse de Dorian, mais ce bref moment d’inattention lui coûta cher. Un coup au visage plus tard, et il chancela, complètement ahuri. Christos avait connu pire, que ce soit sur les champs de bataille ou sa relation chaotique avec son père, la douleur fut passagère. Cependant, trop forte pour qu’il ne riposte pas. Il était colérique avant toute chose, l’athénien avait tendance à agir avant de réfléchir… Et c’est ce qu’il fit. Le grec saisit brutalement son agresseur à la gorge, prêt à lui rendre la monnaie de sa pièce. Mais les regards des spectateurs et les évènements de la matinée eurent raison de lui. Il le lâcha sans mettre ses menaces à exécution, les bras ballants. « Tu as peur ? » Entendit-il. Un peu, oui. Il craignait d’entendre ces incessants murmures, de lire le mépris dans les yeux de ses voisins, ou d’être maudit pour ses excès de violence. De toute façon, il avait un glaive. Par terre ou dans les mais de Dorian, peu importe, il avait une arme. « Dépêche-toi, on rentre ! » Aboya Christos à l’adresse de son esclave, sans lui accorder un regard. Il ne voulait pas s’attarder, tout le fatiguait.
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Dorian Fabius.
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MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptySam 9 Oct - 0:44

    Mais à quoi était-il en train de jouer ?! Cela ne rimait à rien. Strictement à rien. A rien du tout. C’était insensé, complètement loufoque, stupide et indéfiniment insensé. Se rebeller ? Pourquoi ? Pourquoi maintenant après toutes ses années de soumission ? Son visage affichait tant de fierté, tant de rage et de haine que l’on ne pouvait même pas distinguer une once de peur et de regret. Et pourtant… Si le simple gymnète en face de lui savait, s’il savait ce qu’il ressentait à ce moment précis. La peur. Une peur tellement forte qu’il en restait en réalité cloué sur place et que ses jambes ne pouvaient même plus trembler ou le faire déguerpir à toute vitesse. Du haut de sa petite taille, il continuait de toiser le guerrier qui ne semblait pas très impressionné néanmoins offensé qu’un esclave étranger affiche une certaine résistance. Ce genre d’homme parlait mais il était rare qu’il agissait. C’était juste pour impressionner ses camarades, une façon de se démarquer mais aussi de s’intégrer. C’en était sûrement plus pitoyable que tous les péripéties de la petite matinée du romain. Même pas encore midi et il avait déjà des ennuis. De plus graves ennuis que de se faire battre en public par son propre maitre. D’ailleurs, il n’était pas le seul. Quoi que, Christos avait sûrement autre chose à faire que de prendre la défense de son esclave qui l’avait humilié moins de quelques minutes auparavant. Ne compter que sur lui. Il ne devait compter que sur lui.

    Dorian déglutit, ses lèvres tremblaient à peine. A cause de la colère accumulée, à cause de la peur grandissante à l’intérieur de son corps. Pourtant, le gymnète se contenta de lui postillonner dessus en parlant. Le romain, d’ordinaire timide et plutôt blasé, s’efforça de tout son être à ne pas sourire ou même carrément éclater de rire. En effet, l’athénien qui prenait plaisir à martyriser les esclaves des autres avaient quelques problèmes de diction… Apparemment… Le romain pinça les lèvres, sans laisser paraitre dans son regard un petit bout d’insolence et d’irrespect. Mais la scène était tellement drôle ! Se retenir comme jamais alors qu’il avait envie de rire comme jamais il n’avait rit.

    Quelques mots et tout était terminé. La partie était finie. C’était échec et mat pour celui qui avait entamé le jeu. Dorian ne put résister à l’envie de se retourner et de regarder son maitre avec des grands yeux traduisant totalement son incompréhension. Christos avait-il des problèmes de double personnalité ? Il avait fait preuve d’une misanthropie incommensurable à l’égard de son esclave et désormais, il le protégeait ? Le romain chercha le regard de l’athénien… Et le trouva. Un regard qui le fit frissonner. Comment pouvait-on être aussi abjecte et la minute d’après être aussi bienfaisant et attentionné. Peut-être était-ce la mentalité athénienne. Dorian ne s’y ferait finalement jamais. Hésitant, il offrit à son maitre un sourire comme pour le remercier. Alors qu’il allait s’avancer, tête baissée, vers Christos, les mots de celui qui semblait être le chef de cette petite bande continua sur sa lancée, insultant presque le gymnète seul avec son esclave. Sans chercher davantage, Christos lâcha une réplique simple mais cinglante. Une réplique qui lui fit froid dans le dos. Il ne pouvait s’imaginer une seule seconde Christos lui asséner un coup de fouet. C’était le genre d’acte qui le révulsait et lui faisait revivre des moments de sa vie qu’il aurait préféré oublier. Non… Il espérait de tout son cœur que jamais tel acte ne se produise. Sinon… Sinon il ne savait pas. Il ne savait même pas ce qu’il ferait, ce qu’il deviendrait. Non, non,non. C’était un raisonnement stupide auquel il ne voulait pas s’adonner. Il reporta son attention sur la joute verbale qui était en train de se livrer. Dorian jeta un coup d’œil au gymnète d’un air plat avant de regarder de nouveau son employeur. Le romain leva un sourcil. C’était vrai, ça ; à quoi lui servait-il ? La question ne se posait même pas : Christos était l’homme le plus fainéant que la terre aie porté. Un homme qui pouvait reporter quelques affaires ou carrément demander à son homme à tout faire de les exécuter à sa place, quoi de plus merveilleux. S’ils n’étaient pas dans une pareille situation, Dorian aurait souri tant la réponse était évidente.

    Ce soudain revirement de situation qui étonna le jeune esclave ne dura pas très longtemps ; bien vite sorti de son petit monde où le gentil Christos prenait sa défense, il fut ramener à la dure réalité. Christos s’avança vers lui, lui donnant au passage quelques coups d’épaule le rappelant à l’ordre et lui désigna les courses. Dorian déglutit en baissant la tête, acquiesçant d’un timide hochement de tête. S’apprêtant à s’abaisser pour prendre les courses, la grande main osseuse de son maitre le redressa doucement et bientôt il fut ramener si proche de lui qu’il put voir chaque trait nouveau de ce visage qui lui était pourtant si familier. Dorian déglutit de nouveau en hochant vivement la tête. L’homme salvateur ou l’homme effrayant ? Pour le moment, Dorian opta pour l’effrayant, sentant lentement la douleur monter dans le milieu de sa nuque. Il se mordit l’intérieur des joues. Encore et toujours désigné comme un objet. Même un chien était mieux traité, certainement. Toujours cette envie de crier et de prouver son existence. Mais il n’était rien et le défaitiste écrasa lamentablement le téméraire qui avait tenté de démontrer fièrement sa force et son courage. L’emprise se desserra lentement sur sa nuque, lui laissant un temps pour souffler et respirer. Dorian déglutit de nouveau avant de poser son genou à terre. Il grimaça. Il n’osa même pas regarder sous le tissu qui cachait ses jambes. C’était pratiquement sûr qu’il s’était égratigné ou ouvert le genou. Un léger soupir et il passa le revers de sa main sur son front, exécutant docilement la tâche donnée. Petit à petit, il ramassa les légumes et fruits, les plaçant soigneusement dans le petit sac en peau. Gentil et brave petit toutou qui termina gentiment sa besogne. Les courses rangées, Dorian leva la tête craintivement et croisa de nouveau le regard noisette de Christos. Il n’avait même pas remarqué que ce dernier s’était mis devant lui. Dorian aurait voulu s’arracher les cheveux : à quoi jouaient-ils ? Dorian s’amusait à se rebeller, testant quelque chose qu’il n’avait jamais essayé et Christos semblait de plus en plus étrange ; il l’accompagnait en course, il l’humiliait après avoir accepté de rentrer pour éviter à son esclave un trop plein d’exposition dans l’Agora, puis le protégeait, le traitait de nouveau comme une chose puis le protégeait de nouveau. C’était le comportement de son maitre qui était totalement insensé. Peut-être était-ce simplement un jeu, juste pour tester la fidélité du serviteur. En même temps, Dorian n’avait pas trop le choix de le servir. Mais cela ne lui déplaisait pas, du moins, jusqu’à ce qu’il se rende compte que l’état psychologique de celui dont il était aux ordres le remette en question. Dorian haussa un sourcil perplexe. Tout ça… Tout ce qui venait de se passer, cette matinée infernale, ces athéniens grouillant et s’amusant d’un rien, les multiples comportements de Christos… Tout cela pouvait-il être oublié par ce simple geste de protection. Dorian se mordit la lèvre inférieure en le regardant droit dans les yeux.

    Cette contraste entre la couleur azur et la couleur châtaigne. Dorian n’y avait jamais songé mais, il avait très peu de fois offert un véritable regard à celui qui l’employait. De bref coup d’œil en coin pour ne pas manquer de respect, mais jamais cette envie de soutenir un regard qu’il ne pourrait jamais supporter. Il n’avait jamais noté comme ces yeux noirs pouvaient paraitre si clairs à la lumière du jour.

    L’esclave aurait voulu sourire. Remercier. Les mots n’avaient rien à faire dans ce genre de situation et il le savait. Juste un regard. Un simple regard qui pouvait tout changer. Ses yeux se mirent à briller. Il le remerciait.

    Finalement, l’expression de ses yeux changea du tout au tout ; brillants d’une étincelle dont il n’aurait jamais soupçonné l’existence, ils finirent par s’écarquiller. A peine eut-il le temps d’ouvrir la bouche pour prévenir son maitre que c’était déjà trop tard : il entendit le contact des os des phalanges de l’agresseur s’abattre sur la mâchoire du jeune gymnète. Sous le choc, Dorian en tomba sur les fesses, regardant son maitre vaciller durant quelques pas alors que les autres riaient. Cloué au sol, il ne servait strictement à rien. Mais en réalité, Christos n’avait besoin d’aucune aide : à peine remis du coup asséné qu’il se rua sur le gymnète imprudent. Dorian retint son souffle. Il avait peur, tellement peur de voir que tout cela s’envenime et finisse dans un bain de sang. Remonté à bloc, le romain se releva et s’avança d’un pas alors que Christos le lâchait déjà. La peur ? Sûrement. La peur des représailles, la peur d’avoir une fois de plus du sang sur les mains. L’esclave avait beau voir jour après jour un homme se lever, manger et partir s’amuser à dans des festivités, il n’en restait pas moins un soldat qui devait tuer pour sa patrie. Tuer pour survivre. Avait-il déjà tué ? Oui, c’était certain. Heureux de voir que tout irait bien dans le meilleur des mondes possible, Dorian s’avança vers Christos le sourire aux lèvres, un sourire qui disparut bien vite alors qu’il se baissa de nouveau pour ramasser les courses ainsi que le glaive. Oui, ils feraient mieux de partir.

    Soufflant, soulagé, il s’attela à suivre les pas de son maitre. Il jeta un bref coup d’œil derrière lui. Les gymnètes ne semblaient pas très contents de la situation… Les hommes s’approchèrent les uns des autres et murmurèrent. Ce n’était pas bon signe. Il resserra son emprise sur le sac et l’arme avant d’accélérer un peu la cadence. Il attrapa du bout des doigts un morceau du tissu de son maitre, obligeant ce dernier à pivoter pour voir ce qu’il se passait. Quand la violence allait-elle s’arrêter ? En moins de temps qu’il n’en fallait pour respirer, les quelques gymnètes présents – Dorian en ayant compté quatre – encerclés déjà les deux hommes. La lèvre inférieure du romain trembla. Ils n’allaient pas mourir ici et maintenant, entre les mains de cette chair à canon ? Si ? Un projet des Dieux ? Un test, de nouveau ? Dorian déglutit, se mettant à trembler de tout son être. Ses dents claquèrent alors que le chef de la bande s’avança vers Christos, les mains croisées sur le torse :

    « - Depuis le temps que je te connais, fils de Pallas, j’ai su que tu étais comme lui ; un homme faible et lâche. Peureux de surcroit. ».

    Se cambrant en arrière pour rire, il finit par se calmer un instant avant de pointer Dorian du doigt, sans même lui adresser un seul regard :

    « - Si tu avais su domestiquer cette bête, tu n’aurais pas à en subir les conséquences… C’est dommage, vraiment… ».


    Ses paroles semblaient détachées et tellement ironique que Dorian tiqua. Son nez se plissa. Ses yeux tombèrent sur le glaive. Devait-il menacer ? Non, il n’en serait absolument pas capable. Pourtant, il tenait l’arme entre ses doigts. Elle était là, puissante, prête à s’offrir pour leurs venir en aide. Dorian déglutit. Ses ongles s’enfoncèrent dans le pommeau alors que son cerveau n’était plus capable de réfléchir. Il tremblait trop, beaucoup trop. Et il envisageait tellement de possibilité qu’il en oublia la réalité. Toujours cette dure réalité.

    « - Bon… Un coup au petit maitre… ».


    Le chef de bande s’avança vers Dorian et lui envoya un superbe coup de poing en plein dans l’angle de sa mâchoire alors qu’il terminait le début de sa phrase :

    « - … Et un petit coup pour le chien ! ».


    Ses collègues rirent alors que Dorian s’écrasait une nouvelle fois au sol comme une plume. Bien trop frêle pour résister à un coup pareil, il fit retomber les courses, en écrasant un peu au passage. Le romain toussa fortement, portant en même temps une main sur sa joue endolorie. Un léger filet de sang glissa le long de ses lèvres, un léger filet de sang qu’il s’empressa d’essuyer d’un revers de main.

    Le gymnète afficha un regard dur et haineux, à la limite du sadisme, à l’égard de Christos :

    « - C’est ton tour, Christos. Et tu ne t’en sortiras pas. Cette fois, c’est moi qui gagnerais le combat. ».


    Sans plus attendre, le chef dégaina son glaive et pointa la lame en direction du jeune maitre. Des combats, toujours des combats. Peut-être une façon de prouver sa virilité. S’il fallait se battre pour obtenir une preuve de son sexe, Dorian se dit qu’il aurait mieux fait d’être une femme. Eviter toute forme de combats. Il n’aimait pas la violence, il la détestait. Mais il était obligé d’intervenir. A lui de pouvoir protéger. Même si parfois, Christos ne méritait pas tant d’attention. Avec une certaine agilité, Dorian put se relever, préférant attraper l’arme blanche qui gisait à côté de lui plutôt que les légumes écrasés. Se postant devant son maitre, jambes écartées, genoux légèrement pliés, la pointe de lame en direction de son assaillant, le jeune esclave serra le pommeau à deux mains, le regard dur :

    « - Laissez-nous… ».

    Sa voix tremblée et il semblait lui-même peu convaincu de la portée de ses mots. Les hommes autour se mirent à rire. Des rires stridents qui firent trembler ses genoux. Il n’était pas stable, il n’avait jamais tenu une arme dans ses mains et il allait certainement se mettre à pleurer. Mais c’était son devoir : servir et protéger. Alors il s’exécuta, comme le bon toutou qu’il était. Non, pas comme un chien. Comme un homme. Un homme qui en protégeait un autre. Son talon touchait le bout de la sandale de Christos. Sûrement un moyen de se rassurer, de savoir qu’il n’était pas seul. Sûrement un moyen d’espérer qu’il s’en sortirait, d’espérer que l’entre-aide soit plus forte que le dédain.
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Christos Anthony.
Christos Anthony
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[T] Comptes à rendre. [Dorian] Vide
MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptySam 16 Oct - 23:50

    Tout compte fait, s’il avait écouté sa paresse, il serait resté chez lui. Christos s’en mordait l’intérieur des joues. Il était complètement perdu, ignorait comment réagir pour régler la situation et quel comportement adopter avec Dorian… L’esprit de l’esclave devait être aussi confus que le sien. À quoi jouait-il ? Cette question ne cessait de revenir, en quête d’une réponse que l’athénien était incapable de donner. En attendant, ses crises de schizophrénie improvisées n’allaient pas les aider à rentrer entiers. Les mauvaises langues du quartier crachaient qu’il n’était pas net psychologiquement et beaucoup les croyait, son père le premier d’ailleurs – il n’y avait qu’à voir ses saignements de nez, ses migraines ou ses sautes d’humeur récurrentes. Ce dernier était persuadé, depuis plusieurs années, que son fils était devenu une pâle projection de lui-même, abruti et déséquilibré. Pendant un bref instant, Christos voulut croire en une mise en scène, une pièce de théâtre mal organisée : les problèmes s’entrechoquaient les uns contre les autres, que ce soit un charlatan, un esclave incapable de tenir debout et aussi frêle qu’une fillette, ou des gros bras cherchant une victime. Et après ? Qu’allait-il arriver ? Une catastrophe ? La colère des dieux ? Une rébellion de Dorian ? Sa mort ? Ou était-ce simplement de malheureuses coïncidences ? Le gymnète fixa ses compagnons d’armes, les poings serrés. S’il devait être trop remarqué aujourd’hui, soit ! C’était la volonté des dieux. Il attendit que Dorian soit de nouveau sur ses pieds et hâta le pas vers la maison, en sentant son estomac libéré de l’étau dans lequel il était comprimé, depuis la venue des gymnètes. L’euphorie retomba brutalement, après le signe de Dorian. Ils étaient suivis, pire, encerclés. Christos fit volte-face, incapable de dire quoique ce soit. Son teint avait blêmi et son regard, d’habitude si assuré et si imperturbable, exprimait de la peur. Il n’était qu’un homme, il avait peur. On le prenait au dépourvu, par derrière, sans qu’il puisse avoir le temps de se préparer. Cependant, en temps de guerre, n’était-il pas sans arrêt confronté à des adversaires mieux entraînés et plus performants que lui ? Evidemment… Et il s’en sortait toujours, au moyen de ce qu’il pensait être l’aide divine. Aujourd’hui, il se sentait à coté de ses sandales, pris de court. Il se remémora les yeux emplis de gratitude de Dorian, après l’avoir plus ou moins défendu, et comprit qu’il n’arriverait pas à s’en sortir sans un minimum de dommages. Physiques ou moraux, qu’importe.

    Impassible, Christos ne tressaillit pas après la remarque du chef du petit groupe. Au fond de lui, il tremblait de colère et tentait, vainement, de maîtriser ses émotions. Il haïssait que quelqu’un le compare à son paternel. Ils n’avaient rien en commun ; du moins, l’athénien voulait s’en persuader. Le seul lien qui les unissait était celui de la famille, parce qu’ils ne pouvaient rien contre. Mais l’un comme l’autre se vouaient une haine mutuelle et sans limites. Ils n’avaient jamais été capables de s’entendre, même lorsqu’il n’était qu’un enfant. Ce sentiment d’animosité s’était renforcé après la mort de Néphélie, dont ils s’accusaient d’être les responsables… Christos refusait d’assumer et chaque jour, il se réveillait avec cette culpabilité dont il ne pouvait se débarrasser. Avant de tuer sur les champs de bataille, il avait déjà du sang sur les mains. Préférant ne pas répondre, l’athénien resta de marbre. Le sujet était trop délicat, il ne voulait pas perdre le peu de crédibilité qui lui restait. Et il ne bougea pas d’un pouce lorsque le gymnète frappa Dorian. Son regard était concentré sur un point fixe, un linge à quelques mètres de là, qui flottait doucement au rythme du vent. Il ne prêta pas attention aux courses renversées – dont certaines étaient maintenant immangeables – et ne regarda pas non plus son esclave. À vrai dire, il attendait juste qu’ils se défoulent et qu’ils partent. Satisfaits, vite, et loin. Le grec entendit distraitement les paroles de son adversaire autoproclamé et aperçut le reflet d’un rayon de soleil contre la lame brillante d’un glaive. Il n’esquissa pas un seul geste pour ramasser son arme, ni pour demander à Dorian de lui donner. Christos paraissait absent, totalement déphasé. Un claquement de doigt devant son visage n’aurait pas suivi à le réveiller. Il n’avait pas envie de se battre de cette façon, comme deux gamins testant leurs nouveaux jouets ; l’un des deux finira blessé, voire pire. Il n’avait pas récupéré sa nuit, le soleil l’aveuglait, ses maux de tête revenaient. Un « laissez-nous » suffit à le tirer de ses réflexions. Stupéfait, il tourna brutalement la tête vers la voix qui s’était élevée, et qu’il avait assez entendue pour la reconnaître… Dorian tenait le glaive entre ses mains et s’était placé devant lui. Cependant, Christos remarqua immédiatement les failles de l’esclave : pas d’équilibre, pas d’assurance. Ce geste protecteur et pour le moins inattendu l’empêcha d’émettre le moindre son. Son regard se posa tour à tour sur la lame du glaive, pointée vers leur provocateur commun, puis sur les mains du romain, tremblantes, et enfin sur sa nuque, trempée de sueur.

    Et s’il le laissait se battre ?... Cette pensée traversa l’esprit de l’athénien, inconsciemment. S’il le laissait le défendre ? S’il n’intervenait pas ? Avec des si, l’on changerait le monde, mais la vie de Dorian s’arrêterait dans cette rue. Il serait battu – même abattu… - avant même d’avoir levé son arme. Christos connaissait ce gymnète, la pointe de sadisme qui illuminait son regard ne trahissait pas une réputation de brute sanguinaire. Le romain s’offrait à lui sur un plateau d’argent… Il ne pouvait pas assister à ce spectacle dans cet état d’ahurissement. « Et me battre t’apportera quoi ? La gloire éternelle ? Si tu veux vraiment te sentir puissant, affronte un Spartiate, pas un esclave. » Tout en parlant, Christos s’était mis à la hauteur de Dorian et était maintenant à la portée des deux glaives, sans défense aucune. L’ambiance changeait peu à peu. Les quolibets s’étaient tus, et un silence pesant était tombé entre les acteurs de la scène. Le chef de la bande avait perdu son sourire, au profit d’un rictus carnassier. Athéna devait avoir bien honte de voir sa cité devenir le théâtre d’affrontements si futiles et dénués de sens. Parce qu’il était pauvre et qu’il s’octroyait le luxe de posséder un homme, méritait-il des coups ? Peut-être, mais la provocation gratuite et les humiliations ne faisaient pas parti du jeu, du moins, en ce jour. Christos avait d’autres soucis en tête et une nuit à rattraper, il désirait rentrer. S’il n’avait pas vécu une telle matinée, il aurait certainement participé au lynchage de Dorian – tout en veillant à ce qu’il y survive. « Et puis, ne put-il s’empêcher d’ajouter, un sourire narquois affiché sur le visage, je sais qu’un combat perdu est difficile. Alors deux… Ne me tente pas. » L’arrogance qui émanait de lui était imbuvable, mais le grec en avait besoin pour s’insuffler un semblant d’assurance. Il était habitué aux bagarres improvisées, amicales ou non, mais à cet instant, il n’avait pas la motivation nécessaire pour répondre au défi. Christos posa sa main sur un poignet de Dorian, l’intimant de baisser sa garde. Il souffla, les dents serrées : « Garde le glaive. Ne réfléchis pas, au cas où… » Entaille-le, blesse-le, tue-le, fais ce que tu veux, fais ce que ton instinct te dicte, et cours.

    La « diplomatie » allait-elle lui donner raison ? La brute restait silencieuse, comme lui quelques minutes plus tôt. La situation pouvait prendre une tournure dramatique comme heureuse, il n’en savait rien, et n’avait aucun plan. Deux gymnètes avaient un fouet accroché à leur taille, un autre avait une taille imposante et des poings de tueur… Basique. De pauvres frustrés, déçus de ne pas être devenu de valeureux hoplites, qui ne possédaient ni bouclier ouvragé ni glaive onéreux, ni protection… Ni argent, rien. Seulement leur force et l’amour de la guerre. Christos devenait soit un ennemi soit un ami, et ce dès la première rencontre. Il avait une prétention qui ne plaisait pas toujours et sa carrure laissait croire qu’il était un vaincu né. Ces imbéciles avaient décidé de lui mener la vie dure, soit. Seulement, ils le sous-estimaient aussi ; il était fainéant, certes, mais pas lâche. Il jeta un coup d’œil légèrement inquiet à l’adresse du romain. Son cœur battait la chamade, sa respiration s’emballait, sa cage thoracique était au bord de l’explosion. L’angoisse était trop forte, la peur palpable, il se sentait dépassé. Lui qui avait toujours le dernier mot, lui qui était toujours si dédaigneux, si blasé… Il tremblait intérieurement, avec la crainte grandissante d’apercevoir son sang souiller le sable fin de la rue. Cet homme n’hésiterait pas à l’égorger sur place. Il était plus sûr de sa force que Christos de son adresse. Et Dorian ? Il ne pouvait pas le sacrifier – pour le prix qu’il avait coûté et… pour le peu de dignité qui lui restait. « Ecoute, nous ne sommes pas là pour mourir. Un autre jour peut-être, mais pas maintenant, et surtout pas de ta main… J’aurais trop honte. » Marmonna-t-il suffisamment fort pour être entendu. « Range ton glaive, ou trouve un autre pigeon. Nous n’avons pas le temps. ...Sombre imbécile… »

    Les deux derniers mots s’étaient échappés de ses lèvres avant même qu’il n’ait le réflexe de réfléchir aux conséquences. L’athénien avait posé une main sur l’épaule de son esclave – le pousser ou le calmer ? – tout en espérant qu’ils en avaient fini avec les ennuis. C’était sans compter l’ouïe du fauteur de trouble. Celui-ci s’avança vers Christos et l’attrapa par le haut de son exomide, approchant aussi bien son visage du sien que son arme de sa gorge. « Tu te défiles ? Remarque, d’après les rumeurs, il y a beaucoup de choses auxquelles tu préfères tourner le dos que les affronter… » Ses yeux, maintenant fuyants, se posaient tour à tour sur la lame aiguisée puis sur le visage du gymnète. Les rires avaient repris après le retournement de situation. Quelles rumeurs ? Le grec préférait les ignorer… Leur tourner le dos. Mal à l’aise, sa respiration était saccadée. Il pâlissait à vue d’œil. Qu’attendait-on de lui ? Qu’il réponde aux provocations ? « Lâche-moi et on en discutera. » Se contenta-t-il de répondre, avec ce qu’il voulait être une intonation indifférente. Son glaive était toujours entre les mains de Dorian. La brute ne desserrait pas son étreinte. Au moindre faux mouvement, l’arme l’empalerait sur place. « Pour que tu puisses fuir ? Ton chien ne peut pas te défendre ? Trop faible et peureux, j’imagine… » Lança-t-il à l’adresse du romain. « Pour une fois, j’ai l’avantage sur toi. Et ton animal est à la merci de mes amis. » Glissa l’homme à l’oreille de Christos. Il tressaillit. Il aurait dû lui briser la mâchoire lorsqu’il en eut l’occasion, au lieu d’obéir à l’autorité divine – et pour l’instant, discutable. Les dieux l’avaient embarqué dans un cercle vicieux, dont il n’arrivait pas à sortir. Les ennuis s’enchaînaient et à cet instant, il était pris au piège. Il tentait de se convaincre que quelque chose allait inverser la donne, mais les moqueries continuaient, et le glaive caressait maintenant la peau de sa gorge. Il déglutit. Où s’était-il encore fourré, nom de Zeus… Comme si ses dettes, son goût pour les fêtes ou ses nombreux déboires personnels ne suffisaient pas… Si les dieux pouvaient lui venir en aide. Il espérait attendre encore un peu avant de pouvoir rejoindre sa sœur bien-aimée. Pourquoi s’était-il levé ? Pourquoi enchaînait-il les mésaventures aujourd’hui ? « Tu as l’avantage sur un homme désarmé et en position d’infériorité ? Articula-t-il difficilement. Logique implacable. » Le gymnète baissa son glaive et lui envoya un coup de genou au niveau de l’estomac, l’envoyant la tête la première dans la poussière athénienne. Suffoquant, Christos resta un moment à quatre pattes, aux pieds de son adversaire, comme un vulgaire moins que rien. Il avait définitivement perdu toute crédibilité. Dignité, même. Être à genoux devant une bande de soldats pas plus doués ou intelligents que lui et devant son esclave, qu’il traitait avec mépris, valait tous les rires du monde. Les rares passants prêtaient à peine attention à la bagarre – il y en avait tant à Athènes, ce n’était ni la première ni la dernière, et préféraient passer leur chemin. Le grec planta ses ongles dans la poussière, afin de ne pas s’écrouler. Le coup, particulièrement fort, lui avait littéralement coupé le souffle. La lame du gymnète envoyait des reflets, au soleil. Il n’était toujours pas relevé, impuissant et faible, à la grande joie du groupe de soldats…
    Ne plus jamais se réveiller pour de l’argent. Plus jamais.
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Dorian Fabius.
Dorian Fabius
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[T] Comptes à rendre. [Dorian] Vide
MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptyDim 17 Oct - 3:14

    Dorian déglutit. La chaleur lui faisait tourner la tête. Il sentait même chaque goutte de sueur couler le long de ses omoplates, glissant entre ses reins. Ne s’arrêterait-il jamais de trembler ? L’esclave ne savait même pas manier l’épée, comment pouvait-il espérer s’en sortir ? Cependant, il ne quittait pas son adversaire du regard. Même s’il frissonnait, tremblait, rien ne l’arrêterait. Du moins, il ne pouvait pas bouger, par conséquent, il ne pouvait fuir. Il devrait donc se battre. La lame devant lui, il savait très bien que si les autres continuaient de rire, il finirait par tourner de l’œil. C’était impensable. Prendre le dessus sur sa faible et fragile personnalité, la remplacer par des convictions aussi dures que l’acier. Il n’était pas tacticien, Oh non. Il n’était pas non plus très intelligent. Mais il avait apprit à observer. Observer jusqu’à en crever. Sans rien dire. Sans rien laisser paraitre. Et il observait son adversaire. Ils n’étaient pas loin l’un de l’autre. Il suffisait de quelques pas, d’une avancée rapide pour que l’un comme l’autre plante l’un des glaives dans la chair de l’autre. Le combat n’avait même pas débuté que Dorian savait déjà comment il allait se terminer ; s’il n’en sortait pas mort, il serait sûrement et certainement bien blessé. Il déglutit de nouveau, sentant une goutte couler le long de sa tempe. Ses lèvres étaient sèches. Depuis combien de temps ne les avait-il pas humidifiées ? Sa respiration s’accéléra. Il continuait d’observer, observer sans jamais cligner des yeux. Un battement de cils, un seul et il pouvait mourir. Ses yeux le brûlaient. Les jointures de ses doigts aussi à force de serrer l’objet qui donnait la mort, sachant pertinemment que sa vie dépendait de lui.

    Son souffle se coupa net. Il avait l’impression que la scène durait une éternité, qu’il n’arriverait plus à respirer tant la peur, la souffrance et la fatigue s’emparait de son corps. Son cœur finirait par ne plus battre, sans qu’il ne s’en rende compte. Mais il se rendit vite compte que ce n’était pas l’accumulation de tout ce qu’avait supporté son corps et son esprit qui l’avait poussé à retenir son souffle, mais des mots. Il se permit de cligner des yeux après avoir de nouveau déglutit. Lentement, sa tête se tourna vers son maitre. L’un à côté de l’autre. Comme s’ils étaient des frères d’armes, qui allaient certainement tomber au combat. Ses lèvres tremblaient et il ne pouvait exprimer quoi que ce soit. Juste un regard. Un regard empli de peur mais aussi d’espoir. Sa poigne se resserra sur l’objet alors que Christos posa sa main pour lui faire baisser sa garde. Il s’exécuta, mais durement. Ses muscles étaient tendus, tout son corps était tendu. Il devait se calmer. Il était trop anxieux. Trop nerveux. Cela traduisait sa peur. Il devait se calmer. Son regard n’avait pas quitté celui qui le commandait. Tout comme son adversaire avant, il l’observait. Il allait le sortir de là, Dorian en était certain, c’était écrit, c’était leur destinée, les Dieux ne pouvaient les abandonner. Leurs Dieux respectifs. Ils ne pouvaient être abandonnés, ils étaient les enfants de ces Dieux et même si leurs prières n’avaient pas souvent été écoutées, ils devaient être sauvés. C’était écrit. Sûrement l’avait-on prédit. Le romain aurait voulu hurler ; mais leurs vies avaient-elles seulement de la valeur, aux yeux des Dieux, aux yeux des Hommes ? Après tout, ils n’étaient que d’infimes poussières. On leurs avait donné la vie. On pouvait très bien la reprendre. Et c’était ce qu’insufflait Christos. Dorian pouvait prendre une vie, maintenant, tout de suite, en un instant. Il suffisait qu’il coure assez vite pour empaler son ennemi. Il pouvait en être capable. Mais le ferait-il ? Garder le glaive, intimider, feindre quelque chose d’assez terrifiant pour se donner du courage et faire fuir l’ennemi. Oui, il en était plus que capable. Tout le monde en était capable. Mais ôter la vie… Cela lui était impossible. Impossible. Combien de fois avait-il rêver de tuer, de voir le sang couler entre ses mains, sur son visage, glisser jusqu’à ses lèvres et cligner des yeux comme s’il ne craignait plus rien. Tout le monde rêvait de détruire, de faire régner la terreur et la peur, mais peu de personnes le faisaient. Car c’était mal. Car il est dur de vivre en sachant que le soir, avant de nous endormir, nous verrons le visage de celui ou celle que nous avons tué.

    Hormis les paroles de Christos, il y avait ce silence. Même la ville d’Athènes semblait s’être arrêtée uniquement pour entendre les battements de cœur de ces hommes en chasse, leur souffle chaud qui rythmait la vie qui coulait dans leur corps. Et dire que l’esclave avait maudit chaque passant et leurs braillements. Désormais, il était capable de n’importe quoi pour entendre un enfant pleurer, un marchand hurler les bienfaits de ses produits ou une femme qui se plaignait à une amie car son mari avait ronflé toute la nuit. Les yeux de Dorian s’étaient assombris. Un chaque changement d’humeur, un changement de couleur. Pourtant, il continuait à regarder Christos comme un esprit salvateur. La pointe du glaive était toujours pointée vers le sol. Il ne la regardait pas. Elle ne comptait pas, ou plus. Seul comptait les mots de son maitre qui pouvaient à tout moment les sauver, ou les jeter tout droit dans la gueule du loup.

    De pauvres brebis égarées dans l’antre de loups affamés. Cette métaphore traversa l’esprit du romain lorsque Christos prononça son arrêt de mort. Leur mort à tous les deux à vrai dire. Dorian aurait voulu l’arrêter ou le prévenir, l’avertir qu’il se dirigeait tout droit sur une pente glissante. Comme il avait tenté de le faire avec le marchand. « Ne pas se faire repérer, ne pas se faire remarquer. ». « Ne pas dire des mots que vous regretteriez, ne pas nous faire tuer dans une petite ruelle où tout le monde passait en se contrefichant totalement de nous. ». C’était trop tard. Le mal était fait, les mots avaient été prononcés. S’il avait pu, il aurait plaqué ses mains sur ses lèvres, alors qu’il n’avait rien dit. Comme un enfant pris en faute et ne sachant quoi faire pour se faire pardonner. Au lieu de ça, l’esclave pinça les lèvres en plissant les yeux.

    Et de nouveau son souffle qui se coupa. Ses yeux s’écarquillèrent. Rien le temps de faire. Le gymnète avait pris d’assaut son maitre sans qu’il ne puisse faire quoi que ce soit. L’adversaire, si près de lui, tenant Christos contre son torse, la lame affutée contre le cou de son maitre. Ils ne s’en sortiraient pas. C’était terminé. La partie était terminée et ils avaient tous deux perdus. Sa gorge était sèche, tellement sèche, Ô ce qu’il donnerait pour un peu d’eau. Juste une gorgée, non, une goutte. Et ce qu’ils étaient en train de se raconter… Cela n’avait aucun sens pour le romain. De quoi parlaient-ils ? Oui, des rumeurs, souvent il en avait entendues de son employeur, mais ce n’était que des rumeurs. De simples ragots, des commérages auxquels il ne fallait prêter attention. Etaient-ils vrais ?
    Par contre, ce qu’il avait réussit à comprendre, c’est qu’ils étaient bien entre les mains de véritables sadiques. Dorian plissa le nez en grimaçant, examinant chacun des compères. S’il arrivait à être aussi méprisant, sûrement qu’il aurait plaque ses mains sur ses cuisses en se penchant en avant et en les insultant de pauvres petites choses impuissantes qui se vengeaient sur d’autres. Mais il ne le ferait pas. Il n’en était pas capable. Sa gorge sèche… Et il déglutit de nouveau. A ce rythme là, il n’aurait plus de salive. Et dire qu’après ce qu’ils avaient vécu en cette matinée, Dorian croyait avoir été assez servi.

    Un battement de cils et il revint à la réalité. Trop dure. Aussi dure que le genou du gymnète s’abattant dans l’estomac de son maitre. Par réflexe, Dorian recula d’un pas, regardant son cher maitre tomber lamentablement sur le sol. Le maitre à terre. L’esclave debout. Quelle drôle de scène. On en se serait presque cru lors de ces tragédies jouaient dans ce grand théâtre de la ville. Mais étrangement, Dorian ne jouissait pas de cet instant de pouvoir qu’il possédait sur celui qui lui avait ôté tout espoir de liberté. Au contraire ; il venait de voir sa vie tomber en même temps que Christos. Il savait que s’il ne réagissait pas de suite, tout était perdu. Pour de bon.

    De nouveau ces rires infâmes. De nouveaux ces sourires, ces dents à la vue de tous. Il avait tellement mal de crâne. Il passa sa langue sur sa lèvre supérieure en levant les yeux au ciel. Avait-il reprit un semblant d’assurance ? Il ne tremblait plus. Comme si le courage s’était emparé de lui au moment où Christos avait heurté violemment le sol. Dorian balaya le sol avec son pied, se rapprochant de Christos, le glaive pointé vers le chef de la bande. Son regard gris s’accentuant lorsqu’il fronça les sourcils. Il toisa l’homme sans s’en rendre réellement compte. Pour ce combat, il oublia Dorian Fabius, laissant ressortir, s’il avait seulement existé, le valeureux guerrier romain, le genre de guerrier qui avait repoussé des armées entières avec un seul glaive. Malgré son manque d’entrainement et l’inébranlable vérité, celle qui disait qu’il ne gagnerait jamais ce combat, Dorian tenait fermement l’arme entre ses doigts avec la ferme conviction de lui clouer le bec. Sa voix rauque retentit, étrangement claire :

    « - La ferme, misérables gymnètes. A croire que le combat ne vous a rien appris. Vous n’avez acquis aucune valeur et aucune modestie sur le champ de bataille. Et vous vous en prenez à nous ?! ».

    Toujours ces éclats de rire qui lui donnait mal à la tête. S’il avait eu plus de force et de volonté, il les aurait tués. Pas de pitié pour des assassins pareils. Mais il n’était pas fort. Même si son courage avait augmenté, il n’arrivait plus à bouger. Le chef de bande s’avança vers Dorian et sa lame effleura la sienne. Sa voix n’était pas aussi rocailleuse que celle de l’esclave, mais elle était puissante et imposante. Terrifiante :

    « - Tu crois sincèrement nous faire peur sale chien ? ».

    Le chef de la petite bande agrémenta ses paroles en lui crachant dessus. Dorian eut un sursaut qui le fit faire deux pas en arrière. Il en manqua même de marcher sur Christos et de lui tomber dessus, heureusement pour lui, il put retrouver un minimum de stabilité. Les rires redoublèrent. Ô si seulement les Dieux leurs ôtaient leurs cordes vocales ! De sa main libre, il s’essuya la joue totalement désemparé. Comme si le geste avait été plus assassin que la lame qui aurait très bien pu l’empaler. Lentement, il se mit à tressaillir. Il allait mourir. Le courage s’en alla de la même façon qu’il était venu. Il tremblait de nouveau. Etait-il donc voué à la faiblesse et à la soumission ? Il tourna la tête vers Christos, le regardant s’époumoner au sol. Voyant son maitre à terre, aussi affaibli et sans défense, il se remémora ses nombreuses années, il se remémora sa vie auprès de son oncle. Cela ne devait plus jamais arriver. Jamais personne ne devrait subir telle souffrance et humiliation. Il resserra son étreinte sur le pommeau et tourna la tête vers l’adversaire, le regard dur et sombre. Aussi sombre que les yeux de son maitre. C’était écrit, il devait gagner.

    Mais à peine eut-il le temps de tourner la tête, glaive en main, qu’il reçut un coup de pommeau en pleine mâchoire. Le coup lui fit perdre l’équilibre et il se ramassa dos contre le sol, les yeux fermés. Il tenait toujours le glaive fermement, si fermement qu’il crut que l’arme faisait partie de sa main, qu’elle n’était que la continuité de son bras. Il toussota, crachant un peu de sang au passage. Sa tête se tourna rapidement vers Christos, lui adressant un regard que ce dernier lui rendit aussitôt. Il avait échoué. Et c’était terminé. Ils finissaient à terre, deux frères d’armes à terre, attendant la mort avec honneur. Le soleil tapait fort. Il ne pouvait regarder le ciel. Bientôt, une ombre vint se poster à la place du soleil, l’esclave en plissa les yeux. Même une centaine de soleil seraient plus agréables à contempler, quitte à ce que cela lui brûle la rétine. La sandale de l’homme vint se poser brutalement contre son plexus, lui coupant la respiration un moment.

    « - Peut-être que c’est à l’esclave de tâter de ma lame avant… Ne crois-tu pas, fils de Pallas ?! ».


    Le souffle court et saccadé, Dorian jaugea son interlocuteur avec fierté. Pas besoin d’être riche pour être fier, pas besoin non plus d’avoir tué un homme. L’honnêteté et la justice avait eu raison de lui. Il mourrait humble. La lame caressa son cou, de la même façon que Christos avant lui.

    « - Oh que oui, mes hommes vont bien s’amuser avec lui… ».

    Dorian haussa un sourcil. Il n’allait pas être tué ? Ou bien, pire que la mort ; la torture. Ses yeux s’écarquillèrent progressivement alors qu’il adressa un ultime regard à Christos. Des prières fusèrent dans son esprit, plaidant, suppliant qu’on l’épargne. Instinctivement, il secoua la tête et se mit à hurler et à supplier les agresseurs, ceux-ci répondant par des rires sarcastiques. Attrapé par les épaules, soulevé comme un vulgaire objet, il se débattait continuant de geindre ses supplications. Collé contre le mur le plus proche, la lame plaquée sous sa cuisse, les larmes se mirent à couler et il serra les dents.

    « - Plus jamais. ».

    C’était la première fois qu’il prononçait des mots en latin dans la contrée d’Athènes. Ses joues étaient rosies par la colère et la honte, les larmes accentuant sa détresse. Il se rendit compte après un long moment qu’il avait encore le glaive entre les mains. Il ne l’avait jamais lâché. Jamais. Sa main, comme guidée, se leva et se planta impeccablement au milieu du ventre de l’un des sbires du chef qui tenait l’esclave. Le romain enfonça la lame, encore plus profondément, toujours plus profondément, jusqu’à ce que le pommeau l’empêche de continuer sa route. Ses yeux aux contours rouges regardèrent l’autre qui sentait sa vie lui échapper. Il murmura de nouveau les mots « Plus jamais » dans sa langue natale, tellement près du gymnète que ses lèvres touchaient presque les siennes.

    Dorian n’avait jamais tué un homme. Jamais. Mais comme on le dit si bien ; il ne faut jamais dire jamais, Ô grand jamais.


Pardonne-moi si je n'ai pu trouver l'équivalent en latin... Je n'en ai jamais fait et je ne connais rien aux déclinaisons et tout le tralala ♫. Breyf, j'ai cherché pendant une heure dans des dico' en ligne, que dalle... J'espère néanmoins que la réponse et potable , en tout cas, la tienne était ♥♥♥
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Christos Anthony.
Christos Anthony
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MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptyDim 24 Oct - 12:14

    [Pas grave du tout :p J'ai fait du latin mais je ne sais pas non plus, alors bon *out* Quant à ton post : *o* *o* *o* !]

    Relève-toi, si tu ne veux pas agoniser sur ton propre territoire... Ne cessait-il de se répéter. Christos se suréleva à l'aide d'un bras hésitant, tandis qu'il abattait son propre poing contre son estomac pour calmer ses quintes de toux. Son cœur battait toujours aussi fort, menaçant de s'arracher de sa poitrine. Et il entendit la voix de Dorian s'élever, de nouveau, plus sûre, plus confiante. Plus dure. Un ton qu'il ne lui connaissait pas. Qui lui rappela qu'il était un homme. Son esclave – ou à cet instant, son « compagnon d'arme » - pointait le glaive vers son agresseur, mais cette preuve de courage était trahie par une peur plus que palpable. Les rires avaient repris, des rictus moqueurs s'affichaient sur chaque visage, et il continuait de cracher ses poumons sur le sol poussiéreux. Christos savait d'avance que le gymnète le battrait, l'écraserait même, sans verser une seule goutte de sueur. Son intuition s'avéra juste. Le romain fut projeté au sol après une brève seconde d'inattention et rejoignit son maître aux pieds de leurs adversaires. L'échine de l'athénien fut parcourut d'un frisson, et une sueur froide coulait le long de sa nuque. Le geste partait d'une bonne intention, mais Dorian n'avait pas la force nécessaire pour arracher la vie d'un homme, ni l'expérience. Il se traîna contre le mur le plus proche et y prit appui, afin de se relever. Il ne quittait pas des yeux la scène, en particulier le glaive du gymnète qui effleurait de trop près la peau de son esclave.

    Celui-ci avait toujours l'arme entre ses mains, comme si elle ne faisait plus qu'une avec lui depuis l'instant où il avait eu le réflexe de l'attraper. Cela étant, ce n'était pas Dorian qui intéressait le chef... Il l'abandonna à terre, à la merci de ses camarades, et revint vers lui, un sourire menaçant affiché sur le visage. Christos ne pouvait même pas reculer, le dos collé contre un mur qui le sommait presque de montrer qu'il n'était pas si pourri de l'intérieur. « Je te croyais plus sûr de toi. » Tonna l'autre, l'air réjoui. Le jeune homme serra fermement la seule arme dont il disposait, son poing. La force de son bras et la résistance de ses phalanges. Il pouvait tenter un coup remontant. Incertain, il inspira profondément, les dents serrées, la mâchoire crispée. Il ne voulait pas se ridiculiser en adoptant une position d'attaque... Il devait simplement prendre le risque de la surprise. Un coup de dernière minute, celui que l'on n'attendait plus. Le gymnète s'avança vers lui, le glaive levé, ne lui laissant aucune issue de secours. Christos ne prit pas la peine de réfléchir ; il n'avait pas le temps. Il préféra se baisser lorsque son adversaire leva le bras, courir derrière lui, profiter de sa diversion et empoigner l'avant-bras qui tenait l'arme. Il l'avait déjà fait, contre des ennemis. Il avait déjà essayé ces coups improvisés, sans savoir où ils le mèneraient, sans savoir s'il s'en sortirait avec telle ou telle tactique. Désormais aux prises avec le trouble fête, il fut brusquement déconcentré par un détail.

    Le brusque silence qui s'était abattu. Ne comprenant pas, il commit une erreur volontaire et tourna la tête vers Dorian. Par réflexe. Le bout de sa lame, ensanglanté, transperçait le torse d'un acolyte du soldat. Littéralement. Abasourdi, l'athénien lâcha son propre ennemi, les bras ballants, incapable de réagir. Par tous les dieux. Le romain venait-il d'ôter la vie à un autre ? Sa vision ne pouvait pas le tromper. Le sang qui rougissait l'habit de l'agonisant non plus. Les gymnètes reculèrent, un à un, craignant que leur tour ne vienne. La bouche de Christos s'entrouvrit légèrement, et parce qu'il ne savait pas quoi faire, pas quoi dire, il fit volte-face vers son agresseur, joignit ses mains et les abattit, avec toute la force dont il était capable, dans son diaphragme. Les rôles étaient maintenant inversées, la victime lâcha son glaive puis se courba, la respiration coupée. Ne souhaitant pas repartir les mains vides, le grec attrapa l'arme de son adversaire, abandonnée sur le sol. Malgré le macabre silence, il était persuadé que les battements de son cœur étaient parfaitement audibles. L'adrénaline atteignait son paroxysme, et son regard ne pouvait se détacher de Dorian. Inconsciemment, une question lui vint à l'esprit, une seule : et si l'homme empalé avait été lui ? Certes, ce n'était pas possible, du moins, Christos le pensait. Etait-ce par confiance qu'il le croyait ? « Tu vois, murmura-t-il à l'adresse du gymnète dépossédé de son glaive, il apprend vite. Et bien. » Jamais il n'avait été aussi heureux qu'un combat cesse. Quelques soldats commencèrent à détaler, déçus que ce spectacle n'ait pas la fin qu'ils espéraient. Vexés qu'un esclave ait plus de cran. L'athénien avait vaguement entendu le romain murmurer quelque chose en latin, mais ne parlant pas la langue, il était incapable de comprendre.

    N'en tenant pas rigueur, il se dirigea, d'un pas hésitant, vers lui et leva sa main libre, comme pour lui signifier que c'était terminé, qu'il ne comptait pas lui reprocher quoique ce soit. Les marques qu'il avait laissées sur le visage de Dorian lui firent soudainement honte. Il lui sembla apercevoir, au détour d'une bâtisse, le fantôme de sa sœur haussant les épaules et disparaissant, emportant avec elle tous ses conseils, toutes ses remarques, tous ses principes. Christos inspira profondément, afin de retrouver un tant soit peu de calme, de lucidité. Dorian venait de tuer un citoyen athénien ; il était étranger, esclave de surcroît. Il allait être condamné pour un crime, avec toutes les charges contre lui, des témoignages vengeurs à l'appui et une défense inexistante. La gorge du grec devint sèche, un film de sueur lui recouvrait le front. La lame souillée transperçait toujours l'homme, ce qui lui arracha une grimace de dégoût. Il fut tenté de reprendre le glaive que tenait Dorian, mais ne le fit pas. Il attendait, juste. Il réfléchissait aux conséquences futures de l'acte, à leurs devenirs respectifs, et pria les dieux de lui venir en aide. Ils lui avaient retiré sa sœur, avaient-ils aussi décidé de lui reprendre son esclave, l'homme qui lui permettait de ne pas sombrer dans une amère solitude ? « Tu viens de signer ton arrêt de mort, fils de Pallas. » Cracha l'autre, en se relevant difficilement. « Et je ne donne pas cher de ton chien, qui va mourir comme tel. »

    Mais qui pour écouter un misérable gymnète, qui avait déjà essuyé bien des démêlés avec d'autres habitants ? C'est la réflexion qui rassurait Christos. Devait-il le menacer ? À moins de causer un deuxième duel, non. Lui acheter son silence ? S’il avait l’argent, il l’aurait fait sans hésiter. Il n’y avait aucune issue. Il ne répondit pas aux paroles provocatrices et se contenta de se tourner vers Dorian, le dardant d’un regard à la fois inquiet et vide, comme indifférent. Comme s’il se moquait de l’avoir obligé à se transformer en meurtrier. S’il n’avait pas accompagné le romain, celui-ci serait rentré depuis une bonne heure déjà, sain et sauf, avec des aliments mangeables, sans une mort sur la conscience. L’aura d’assurance qui ne cessait d’entourer l’athénien se dissipait peu à peu. Le corps du mourant sembla s’alourdir, ses bras étaient ballants et un filet de sang coulait le long de son menton. À moins qu’il y ait une chance que la blessure soit en réalité superficielle – difficile à croire au vu du bout scintillant et ensanglanté du glaive – le gymnète vivait ses derniers instants. « J’espère que tu viens de comprendre que cet idiot ne t’était utile en rien. » Souffla une voix malveillante. Christos ne pouvait même pas nier. Il pensait que l’incendie resterait la pire de ses erreurs, un évènement qu’il ne pourrait jamais changer.

    Désormais, il était responsable de l’acte de son esclave. Pendant un bref instant, il fut tenté de brandir son glaive et de les menacer, mais il ne voulait pas d’un nouveau drame. Ses jointures blanchissaient sur son arme, tout comme son visage qui perdait peu à peu ses couleurs. Les ricanements s’étaient tus. Les sbires avaient baissé leur regard, alors hautain et moqueur, puis embarquèrent le corps, sans se retourner. Le chef de cette troupe abattit sa main sur l’épaule de l’athénien, en ce qui semblait être une tape faussement amicale. Il partait en vainqueur. Sa joie lui donna envie de vomir. Le grec attendit qu’ils soient suffisamment éloignés pour laisser libre cours à sa colère : il jeta le glaive contre le mur le plus proche et vociféra contre les dieux, sans prêter attention aux regards scandalisés que lui jetèrent certains passants. Qu’allait-il se passer, maintenant ? Allait-on frapper à sa porte ce soir, demain, après-demain ? Les arrêter ? Les condamner ? Ou condamner le plus faible ? Et si Pallas l’apprenait ? Le vieillard en profiterait sûrement pour se venger de ce fils qui l’avait tant déçu en révélant au grand jour ce qu’ils avaient caché pendant des années. Il avait les mains pleines de sang depuis ses treize ans et la haine de son père avait forgé son caractère incroyablement mauvais. Il se tut enfin, après avoir juré une bonne dizaine de fois contre les dieux qui lui venaient à l’esprit. Il provoquait silencieusement Zeus de le foudroyer sur place.

    Christos attrapa Dorian par le bras – sans violence, pour une fois, et l’entraîna vers leur bâtisse d’un pas hâtif. L’esprit paralysé par la peur, il n’arrivait plus à réfléchir correctement… « Ecoute. Il s’arrêta. Ils sont pauvres et ont eu des problèmes avec de riches citoyens, c’est assez pour qu’on nous laisse tranquille. Ce n’est pas grave. Vraiment pas. » L’athénien ne savait pas s’il cherchait à rassurer le romain ou se rassurer lui-même, mais peu importe. « On va rentrer, on va comme si de rien n’était. » Comme tu l’as toujours fait, Christos. C’est comme revenir de la guerre. Tu as vu des amis mourir sous tes yeux, tu as tué, puis tu reviens, en oubliant. « Je suis désolé. » Marmonna-t-il. Des excuses, peut-être, mais pourquoi ? Lui-même l’ignorait. Peut-être pour l’humiliation de ce matin, peut-être pour l’avoir accompagné, peut-être pour ne pas l’avoir assez défendu… Tout était bon à prendre. Ce « désolé » englobait simplement les récents évènements, pas davantage. Pour tout ce qu’il lui avait fait subir, le romain méritait bien mieux qu’un vulgaire « je suis désolé ». Soupirant, il baissa son regard et reprit son chemin, en refrénant un nouvel excès de violence. Il aurait volontiers frappé le premier venu pour exorciser sa colère… Seulement, il n’avait pas envie de défigurer à vie Dorian. Ils se rapprochaient de la maison, au grand soulagement du maître. Il avait hâte que la journée se termine, et que Hélios laisse sa place à Séléné.
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Dorian Fabius.
Dorian Fabius
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MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptyDim 24 Oct - 19:38

    L’euphorie du moment était passée. Le sang coulait.

    Son regard était dur, aussi dur que la pierre qui servait à maintenir les temples édifiés pour les Dieux. Ôter la vie vous faisait croire que vous étiez, durant quelques secondes, un Dieu. Il se sentait fort, dénué de tout sens du bien ou du mal. Il avait tué. Le sang coulait le long de ses doigts, de ses poignets et de ses bras. L’homme le fixait, les yeux exorbités. Dorian ne lui rendait pas son regard apeuré. Il lui offrait un ultime regard ; celui de la puissance, celui de La Mort elle-même. Il aurait presque souri pour le faire frémir une dernière fois. Mais cela aurait été malsain. Même dans une telle situation, il gardait un semblant de lucidité. Ses bras tremblaient. Ils ne tremblaient pas à cause du poids de la culpabilité ou bien parce qu’il avait peur des représailles ; il tremblait car ce corps qui était en train de céder à la mort était lourd. Tellement lourd. Les yeux du gymnète commençaient à rouler en arrière. Malgré ça, le romain sentait qu’il s’accrochait. Ce n’était pas pour rien qu’il était un guerrier. Sûrement un valeureux guerrier sur le champ de bataille. Mais pour l’heure, il n’était qu’un charognard, un brigand, un homme dépourvu de bon sens et d’honnêteté qui s’amusait avec la souffrance des autres. L’homme tenta de s’accrocher à Dorian mais il ne lui en laissa pas l’occasion, le laissant glisser contre son corps pour s’écrouler sur le sol. Trop longtemps il s’était laissé faire, trop longtemps on avait abusé de lui sans son consentement. Il ne laisserait jamais un gymnète aussi pathétique lui ôter le peu qu’il lui rester : un semblant d’existence.

    Une fois le gymnète à ses pieds, l’esclave le regarda de haut, s’éteindre lentement avec de légers soubresauts. Sûrement était-il en train d’agoniser. Tant mieux. La lame sous sa cuisse aussi l’avait fait agoniser lentement, intérieurement. Dorian prit une grande inspiration et lâcha le glaive, enfin. Ses yeux bleus assombris se relevèrent et toisèrent les gymnètes alentour. Ils semblaient avoir peur. Peur de lui. Son cœur battait la chamade et pourtant, il n’avait plus peur. Il ne risquait plus rien. Quelques hommes prirent leurs jambes à leur cou et s’enfuirent. D’autres restèrent à observer la mort de leur ami. Il y avait quelques passants aussi. Toujours ces murmurent qui lui brisaient les tympans… Il aurait voulu se mettre à hurler comme une bête pour prouver ce qu’il était, faire fuir ce qu’ils restaient des voyeurs et les faire, à leur tour, hurler de terreur. Mais il n’était pas un monstre. Bientôt, la timidité regagna du terrain et il sentait son visage devenir aussi rouge que le sang qui se répandait sur les dalles. Son souffle s’accéléra et lentement, ses yeux se posèrent sur ceux de son maitre qui le regardait avec incompréhension. Lui non plus ne comprenait pas réellement. Tout défilait à une vitesse impressionnante ou alors tout semblait passer tellement lentement. Sa perception du temps s’était évaporée. Il clignait des yeux pour rassembler les morceaux de ce qui venait de ce produire. Un homme, contre lui, le menaçant sur tous les points, le glaive dans ses mains planté dans une chaire si tendre, du sang, un regard. Il avait réellement tué quelqu’un. Un homme. Un être humain. Cela n’avait rien à voir avec le poulet chassé dans la basse-cour. Non, c’était quelqu’un qui pouvait penser et rire, pleurer et aimer. Ses lèvres s’entrouvrirent lentement. Sa lèvre inférieure se mit à trembler. Oui ; il venait de tuer quelqu’un. L’euphorie, la gloire et le pouvoir s’étaient évanouis. Il ne restait que la culpabilité, la honte et le désespoir.

    Les mots du chef retentirent comme la plus horrible des sentences. Il s’était défendu. C’était de la légitime défense. Pourquoi devrait-il être puni pour quelque chose qu’on l’avait presque obligé à faire ? Qu’aurait dû t-il faire ? Regarder son agresseur lui écarter les cuisses comme on le fait à une prostituée ? Regarder son bourreau enfoncer la lame dans son ventre ? Non, celui étendu par terre, c’aurait pu être lui. Dorian déglutit. Tout était injuste. De sa naissance jusqu’à sa mort. Allait-on le tuer ? Les autres membres du groupe vinrent attraper le mort par les aisselles et le trainèrent hors de leur vue. Dorian suivit du regard celui qu’il avait tué. Des gouttes de sueur perlaient le long de ses tempes. Le sang commençait à sécher sur ses mains moites. Comme par réflexe, lorsque l’on a quelque chose de désagréable sur les doigts, il frotta son pouce contre son index sans quitter des yeux ceux qui partaient. Avait-il rêvé ou quelques hommes se réjouissaient de la mort de l’un des leurs ? Juste pour que les deux hommes agressés soient punis ? Non, il devait avoir rêvé. Personne ne désirer la mort d’une personne proche au profit de quelque chose. C’était inhumain. Quoi que… Vu ce qu’ils avaient fait, étaient-ils seulement humains ?

    Dorian sentit le regard de Christos sur lui. Il n’osait pas le regarder. Une nouvelle fois en sa compagnie, il baissa la tête avec tout le poids du monde sur ses épaules. Son maitre l’empoigna par le bras et le tira hors de la ruelle. Son bras ne le faisait pas souffrir. Étrange. Pour une fois qu’on ne le trainait pas comme une chose qui ne ressentait pas la douleur, du moins qui ne pouvait se permettre de la ressentir. Au bout d’un moment, il s’arrêta et se mit face à Dorian. Les citoyens d’Athènes les regardaient ; Dorian était plein de sang, même ses vêtements en étaient recouverts, son visage montrait bien la trace d’un bagarre, quant à Christos, on sentait réellement que son visage avait souffert. Dorian aurait voulu disparaitre sous leurs regards insistants. Il ne pouvait plus. Ses jambes n’arrivaient plus à le soutenir. Il tremblait de tous ses membres.

    Des paroles réconfortantes. Pour une fois, cela le rassurait un peu. Vraiment un peu. Ce n’était pas grave… Non, c’est vrai. Si Christos avait raison, ils pourraient continuer à vivre comme si cette journée ne s’était jamais déroulée, comme si ce n’était pas lui qui avait tué cet homme. C’était tellement facile à dire. Mais était-ce facile à oublier ? Dorian n’arrêtait pas de se poser la question. Et si au moment de se coucher il revoyait la tête horrifiée de ce gars en train de crever dans ses bras ? Et si ses cauchemars devenaient un mixe entre son oncle et cet homme ? Il y aurait toujours plus de sang et de violence. Plus jamais il ne pourrait dormir correctement après ce qu’il venait de se passer. Dorian baissa la tête, il ne voulait pas le regarder. Même le faible « désolé » que Christos avait murmuré n’avait plus d’impacte. Alors que c’était tout ce qu’il avait désiré. L’entendre dire qu’il était désolé. L’esclave soupira longuement avant d’enfouir son visage dans l’une de ses mains ensanglantées. Les larmes coulaient. Ses épaules bougeaient légèrement. Pleurer en silence, comme d’habitude. Quelques secondes, juste pour exploser puis se reprendre. Un sursaut, un léger hoquet puis il essuya ses yeux d’un revers de main. Il renifla et suivit Christos. Ils étaient bientôt rentrés. Enfin. Home, sweet home. Mais Dorian s’arrêta.

    A l’intérieur de son ventre, ses entrailles s’amusaient à le remuer et le tourmenter. L’esclave sentait l’énième humiliation arriver. Il eut à peine le temps de se retourner et de se tenir à un mur pour ne pas glisser à genoux. Dorian s’agrippa au mur de toutes ses forces et se mit à vomir le peu de nourriture qu’il avait ingurgité ses derniers jours. Même si ce qu’il recracha la plus était essentiellement de la bile et de la salive. Son ventre le faisait moins souffrir, mais il savait que dans son âme habitait quelque chose de nouveau. Il avait eu beau le vomir, ça ne partait pas. Il avait eu beau le pleurer. Ça ne partait pas. Il colla sa joue brûlante contre le mur frais. Ses yeux se plissèrent et il se remit à pleurer. Tuer quelqu’un. Pourquoi, pour qui ? D’un geste de la main, entre deux hoquets, il tenta de s’exprimer avec sa voix enrouée :

    « - Je… Partez devant… J’arrive… J’arrive… ».


    Dorian toussa avant de se remettre à vomir puis pleurer de nouveau. D’un revers de main, il essuya sa bouche puis cracha comme si le sang séché sur ses mains avait pu entrer en contact avec sa salive. Il cracha une seconde fois avant de donner un coup de poing dans le mur qui ne broncha pas. Cependant, le sang de l’homme mort se mêla au sien. La peau de ses phalanges s’était déchiquetée au contact de la pierre. Mais il n’avait pas mal. Cela ne lui faisait strictement rien. Pour une fois, il se foutait complètement des personnes autour de lui. Après tout il n’était qu’un esclave romain qui n’avait aucune importance, autant pour Athènes que pour les autres. Si on venait le chercher et qu’on le lapider sur la place publique, en plus de donner un peu de divertissement à la populace, personne ne pleurerait sa mort et irait faire des offrandes aux Dieux en son honneur. Personne. Dos au mur, il s’y colla en essayant de reprendre son souffle, mais la seule chose qu’il réussit à faire fut de glisser contre celui-ci et de se laisser à pleurer en publique. Il n’attendait plus de mains tendues, juste un peu de paille pour s’allonger et s’endormir. Pour ne plus se réveiller et affronter ce qu’il se trouvait dehors.
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Christos Anthony.
Christos Anthony
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MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptyLun 25 Oct - 19:37


    Les poings de Christos étaient crispés, ses ongles s’enfonçaient dans ses paumes et ses jointures avaient conservé une couleur blanchâtre, qui semblait faire ressortir le sang séché. Il n’avait même pas eu le courage de garder le glaive dérobé au gymnète, préférant l’abandonner sur la scène du crime. Ils étaient partis de bon matin les mains vides, ils revenaient sous un soleil tapant les mains vides et tâchées de sang. Leurs vêtements en étaient recouverts. Sa salive avait un goût métallique, absolument immonde, celui qui lui rappelait la guerre… L’athénien cracha au pied d’un mur, puis entendit une faible supplique, une plainte agonisante. Dorian s’était arrêté, ses mains fébriles s’accrochaient aux vieilles pierres d’un mur comme il se serait accroché à sa vie. Christos jeta un coup d’œil devant lui, où la porte de sa petite bâtisse l’attendait, et un autre sur le dos de son esclave, secoué de spasmes. Le romain toussait, crachait, vomissait, sous le regard à la fois dégoûté et coupable de son maître. Il hésita. Il n’éprouvait rien pour Dorian sinon un mépris rare… Alors pourquoi resterait-il ? La culpabilité lui rongeait l’estomac, une boule s’était formée dans sa gorge et ne voulait pas le quitter. Voir le romain par terre, rendre tripes et boyaux pour effacer les traces de ce meurtre lui rappela un adolescent amorphe et troublé, qui ne parvenait pas à se pardonner la mort accidentelle de sa sœur. Et ce fut cet étrange lien – ou vision – qui le poussa à s’approcher du romain, au lieu de continuer son chemin. Il le comprenait, et c’était sans doute la première fois. Il ne pouvait plus le haïr sans raison, ni le mépriser. Depuis cette bagarre de rue, Dorian avait récupéré sa place d’humain, en défendant et se battant tour à tour contre des soldats plus entraînés que lui. Christos l’avait longtemps cru faible, peureux, et trop fragile pour supporter la violence. Il s’était lourdement trompé. Avant l’esclave, il y avait l’homme. Seul un statut social les différenciait, mais si le romain n’était pas un larbin, il ne serait qu’un simple étranger, peut-être plus riche que l’athénien. Une grimace de dégoût était apparue sur le visage de ce dernier, tandis qu’il posait sa main sur l’épaule du jeune homme. « Relève-toi. » Ordonna-t-il sèchement, en augmentant la pression de ses doigts sur la chair de l’esclave. Il ne voulait pas le brutaliser une nouvelle fois, simplement le forcer à se remettre rapidement sur pieds. Non loin de là, il y avait une petite fontaine où les femmes allaient remplir leurs hydries d’eau. Ils iraient se débarbouiller un peu, et Christos espérait que Dorian se remettrait de ses émotions…

    Le soleil étant particulièrement fort, des mères avaient plusieurs récipients et en profitaient pour mouiller le front et la nuque de leurs têtes blondes. Dans le quartier, les points d’eau étaient rares, contrairement aux riches qui avaient des fontaines dans leur cour même, ou des puits au fond de leurs immenses jardins. L’athénien traînait presque le romain derrière lui, sans lui jeter le moindre regard. Boire et rentrer étaient les nouveaux mots d’ordre. L’attente ne fut pas longue, heureusement. « Calme-toi un peu, maintenant. » Lâcha Christos, sur un ton vague. Il passa ses mains abîmées sous un faible jet d’eau, en coupe, et se désaltéra enfin, avant de se rafraîchir le visage et les poignets. Après l’effort, le réconfort, comme certains disaient. Pour une fois, il n’empêcha pas son esclave de boire aussi, comme il l’aurait fait dans ses mauvais jours. Il ne le frappait pas souvent, certes, mais le privait énormément, que ce soit d’eau, de repas, de soins, de sommeil, et surtout… de protection. Il constatait le résultat de cet abus de pouvoir aujourd’hui, près d’une fontaine : le corps décharné, des cernes, des marques. Il n’avait même pas assez à manger pour vomir autre chose que de la salive, c’était tout dire. Le grec poussa un profond soupir, avant de s’adosser contre un mur, le regard rivé sur le ciel. Les dieux étaient malins, même sournois. Parce qu’il n’avait pas respecté un autre, il devait en payer les conséquences. Athéna lui avait ouvert les yeux, après une diversion d’Arès… En une seule matinée, il avait vécu l’équivalent d’une semaine. Il jaugea Dorian, avec une lueur compatissante au creux des yeux, rapidement éteinte par un nouvel élan de mépris. Oui, encore du mépris ; pas cette supériorité habituelle, mais de l’écœurement. Par rapport au romain, Christos était amputé du cœur. Les regrets de Dorian le révulsaient, parce qu’il n’avait jamais été capable d’en ressentir autant après un meurtre ou une trahison. « Tu crois qu’avoir tué cet homme est affreux ? Demanda-t-il durement. Tu t’es défendu, il ne t’aurait laissé aucune chance. Tu n’as même pas commis de crime, alors pourquoi tu te mets dans cet état ? Tu aurais préféré qu’il t’humilie, jusqu’à te pousser à la mort ? Ou qu’il te transperce assez pour te vider de tout ton sang ? Tu as une âme trop bonne. Elle te perdra. » Termina-t-il dans un murmure hargneux.

    Le maître se cachait derrière sa haine, l’esclave était honnête envers lui-même et n’essayait pas d’être un autre. Chacun ses choix. Le gymnète avait raison : Christos ressemblait beaucoup à son père, beaucoup trop. Plus les années passaient, plus il se rapprochait de cette figure paternelle qu’il détestait tant. Le dégoût éprouvé vis-à-vis de cet homme ne l’avait pas empêché de devenir comme lui. Ingrat, méprisant, et méprisé. Les dents serrées, la mâchoire crispée, l’athénien eut une soudaine envie de déverser la rancœur qui lui broyait l’estomac. Il fixa lourdement Dorian pendant un bref instant, avant de baisser les yeux. « Pourquoi es-tu si bon, alors que cette cité est cruelle avec toi ? Cracha le grec, en relevant son regard glacial. Pourquoi regrettes-tu la mort d’un homme qui aurait fêté la tienne ? N’as-tu jamais fait d’erreurs, dans ta vie ?... » Ses pupilles se braquèrent sur le visage de l’esclave. Il ne comprenait pas cette sensibilité, cette innocence, cette gentillesse… Non, il ne comprenait vraiment pas. Il ne comprenait ni ses larmes ni sa honte, rien. Le grec était sentimentalement à des années lumières du jeune homme. Peut-être était-ce la plus grande différence entre eux, exception faite du statut social. L’un était humain, l’autre refusait de faiblir. Christos fermait les yeux sur tout, il préférait vivre dans son monde plutôt que d’affronter la réalité ; il se voilait la face. Il s’interdisait d’exposer sa faiblesse devant un autre, il n’avait pas supporté de poser un genou à terre, tout à l’heure. C’était si humiliant. Son orgueil finirait par l’étouffer. Il renversa sa tête en arrière, contre le mur, les bras ballants. « Je ne te comprends pas. Vraiment. » Marmonna-t-il, en inclinant la tête vers Dorian. De toute façon, qu’y avait-il à comprendre ? Le romain avait juste des qualités étrangères à l’athénien, qui avait les siennes éclipsées par ses nombreux défauts. Il ne pouvait pas lutter contre cela.

    [Bouh, je trouve que c'est un peu médiocre --' Je me rattraperais..]
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Dorian Fabius.
Dorian Fabius
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MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptyJeu 28 Oct - 15:34

Le soleil tapait, le faisant transpirer davantage. Mais Dorian ne s’en rendait pas réellement compte, trop occupé à lutter avec ses démons. Peut-être même pensait-il que la sueur qui s’écoulait de son corps venait de son énervement soudain, ses bouffées de chaleur dû aux vomissements et son esprit qui s’échauffait. Il ne pensait en aucun cas que c’était la faute de Sol. Ses sanglots avaient cessé mais il hoquetait toujours et avait du mal à respirer. Non, Dorian, l’esclave romain, n’espérait plus de mains tendues vers lui pour l’aider à se relever. Cependant, une main se posa sur son épaule et s’enfonça dans sa chair, l’obligeant à lever les yeux. Son regard croisa celui de son maitre. Il avait bien reconnu cette poigne qui lui serrait les entrailles. En plus de la colère et des pleures, Dorian sentait que son visage rougissait à cause de la honte. En effet, son visage était recouvert d’un léger filme noirâtre, mélange de poussière, de terre et de sang. Après tout, on l’avait trainé et frappé comme une vulgaire bête de trait. Et encore ; l’esclave était certain qu’on aurait jamais traité un animal d’une telle façon. Il déglutit en entendant le ton froid et détaché de son maitre. D’un revers de main, il essuya les dernières larmes qui coulaient puis se releva.

Avec le peu de force qu’il possédait encore, Dorian se tint au mur en pierres blanches derrière lui pour ne pas céder une nouvelle fois à la gravité. Ses genoux continuaient de claquer mais il n’y prêta pas attention ; il se devait de marcher jusqu’à la fontaine indiquée par le maitre. Une fois proche de celle-ci, Dorian posa un genou à terre et attendit que Christos s’abreuve le premier. Toujours cette prédominance de l’échelle sociale ; faire attention à ne pas « blesser » l’autre, à ne pas l’offenser et ce jusque dans les petits détails quotidiens. Comme boire. Comme vivre. Une fois certain que Christos avait bu avant lui, il plongea à son tour ses doigts dans la fontaine et se frotta les mains pour faire partir le sang. Légèrement calmé, il ne faisait que renifler désormais. L’esclave lavait le sang sur ses mains. Le sang dilué avec l’eau donnait une étrange couleur à la fontaine, la teintant de tons qu’il n’avait jamais vus. C’était trop clair. Un rouge trop clair, s’éparpillant dans l’eau translucide. Il avait toujours eu l’habitude de voir son propre sang couler, d’un rouge vif ou bien foncé. Jamais si clair, séché sur ses mains, n’étant pas le sien. C’était une étrange sensation, une sensation encore inconnue jusqu’à ce jour. Si voir un peu de sang sur ses mains ne le gênait pas trop, voir celui d’un autre le rendait carrément malade. Oui, vouloir devenir un grand guerrier avait longtemps été son rêve étant enfant ; voir ces hommes rentrer de guerre, victorieux et fières, c’était tellement beau… Mais de là à être capable d’encaisser les chocs physiques et moraux, il se rendit vite compte que cela n’aurait jamais été possible. Il avait certes pris un plaisir malsain à voir son ennemi à terre, le suppliant du regard de le sauver, mais Dorian en était certain ; il ne pourrait pas recommencer. Pourquoi d’ailleurs ? Pourquoi des hommes, ou même certaines femmes, pouvaient tuer sans scrupule, sans se soucier des mœurs ou de la morale, sans se sentir sales ? Pour le romain, c’était impossible. S’il existait un mot plus fort que « sale » en ce moment, il se l’aurait sûrement répété un millier de fois depuis le massacre. Pouvait-on même le qualifier de massacre ? Il n’en savait trop rien. Il savait juste qu’il avait tué un homme. Cela lui suffisait.

A l’instant même où ses mains plongèrent dans l’eau fraiche, mélangeant les liquides si précieux dans une vie humaine, Dorian songea à son oncle : et s’il l’avait tué comme il l’avait si bien fait avec cet homme qui l’avait juste menacé ? Plus généralement ; s’il avait tué chaque personne qui lui avait nuis ? Il n’aurait certainement pas eu la conscience tranquille mais, le fait de savoir que la terre aurait put être débarrassée de ces personnes, ça n’aurait pas été de si grandes pertes. Dorian inspira profondément. Si l’esclave s’était rebellé ? S’il avait été plus fort ? Comme l’on dit ; avec des « si », on pourrait refaire le monde. Lui, il aurait juste refait ou réécrit sa vie. Qui sait. Trop occupé à laver ses mains, en voyant son reflet, il n’avait même pas réalisé à quel point son visage faisait pitié. Il méritait des claques. Son comportement était digne de celui d’un gamin. Pleurer en publique, se donner en spectacle publiquement. Des enfantillages tout ça. Non, pour la mort d’un homme. Mais il aurait pu y passer après tout. Dorian secoua la tête en fermant brutalement les yeux. Se laver et oublier. Comme le faisait Christos. Comme le faisait les guerriers ou les tueurs. Se laver de tous pêchés et recommencer sa vie de débauché. Une fois certain qu’il n’y avait plus aucune trace de sang sur ses doigts, il porta un peu d’eau à son visage pour le nettoyer. Petit à petit, le sang, autant le sien que celui de sa victime, la saleté, la poussière et les larmes s’en allèrent, laissant place à un nouveau visage, un nouvel homme. Toujours cette petite cicatrice visible aux yeux de tous. La seule. Il avait encore un peu les yeux rouges, mais il s’était calmé. Regardant une nouvelle fois son reflet dans l’eau claire, il vérifia qu’il était assez propre pour boire. Boire n’est pas donné à tout le monde, surtout une eau aussi pure et potable. Boire, il devait le faire uniquement quand son maitre lui disait que ça lui était possible. Sans se presser ni trop lentement, il but quelques gorgées. Le goût métallique et infecte de la salive digérée avaient disparu.

Dorian leva les yeux vers Christos. Assis sur les genoux, il ne voyait pas plus de différence qu’à l’ordinaire. Il regardait Christos, redressant la tête comme pour voir le ciel. Comme pour observer les Dieux. Était-ce être trop gentil que de ne pas tuer quelqu’un ? Si le jeune maitre savait… S’il savait toutes les pulsions meurtrières qu’il possédait depuis son plus jeune âge. Il pensait que, plutôt, réfréner ses désirs faisait de lui un homme bien. S’il savait combien de fois il aurait voulu arrêter le souffle d’un autre ; il ne resterait certainement pas beaucoup de monde à Rome, et encore moins à Athènes. Ses yeux de chien battu croisèrent ceux du maitre en colère. Dorian plissa les yeux ; ce n’était peut-être pas de la colère, mais un mélange de tellement de choses qu’il n’arrivait même pas à discerner quelque chose d’autre. Il se mordit et baissa la tête, comme l’enfant en faute qu’il était.

Son menton se releva bien vite en entendant les nouvelles paroles de Christos. Dorian le regarda avec incompréhension. C’était lui qui ne le comprenait pas. Difficilement, l’esclave se redressa et essuya son front plein d’eau et de sueur. Beaucoup plus petit que Christos, il se mit tout de même face à lui et le regarda de ses yeux bleus encore brillants de part les pleures. Après ce qu’il venait de se passer, rien ne serait plus comme avant. Il ne pourrait reprendre une vie normale. Peut-être était-il temps pour lui de vider son sac une bonne fois pour toute. Il n’empêche qu’il se ravisa. Il ne pouvait pas. S’il vidait son sac, il serait contraint de hausser la voix, de se donner une nouvelle fois en spectacle et de perdre la tête. Comment avait-il fait pour ne pas la perdre depuis le temps… S’accrocher à des sourires, des compliments, des attentions. Fermer les yeux pour profiter de la pluie qui tombe ou de l’herbe qui lui chatouillait les joues. Telles étaient les choses qui l’empêchaient de sombrer. Sûrement serait-il devenu l’un de ces voleurs, de ces vendeurs d’esclaves – s’il n’en avait pas été un – ou proxénète. Un homme malhonnête. Un monstre. Alors s’accrocher. C’est ce qu’il faisait pour ne pas devenir quelque chose d’immonde. Quitte à ne pas avoir de fierté, à se faire marcher dessus sans ciller.

Une nouvelle inspiration. Il avait beau regarder son maitre, avoir l’envie de lui parler, les mots ne sortaient pas. Il baissa la tête en s’humidifiant les lèvres. Ses yeux se fermèrent lentement. Et là, il n’y avait plus de barrière. Plus aucunes ;

« - Je… Je me doute que vous avez déjà dû tuer. Vous êtes un gymnète. La guerre est tout autour de vous… ».

Dorian laissa ses paupières s’ouvrir pour regarder Christos droit dans les yeux. C’était dur. Certainement se prendrait-il une nouvelle claque ou un nouveau coup de poing. Après tout, qu’est-ce qui comptait désormais ? On allait sûrement l’attraper pour le tuer. Autant que ce soit de sa main à lui. Pas d’un autre.

« - … Je me demande bien ce que ça vous a fait de tuer. Avez-vous eu des remords ? Je veux dire… Au départ. De la culpabilité ? Un sentiment de honte ? De la haine ou de la rage ? L’envie de recommencer ? Un désir de puissance, se savoir puissant lorsque l’on joue les Dieux ? Qu’avez-vous ressenti Christos ? ».

Son regard et son ton n’avait rien de froid. Ses yeux comme ses mots posaient des questions. Il voulait des réponses. Du réconfort, il voulait comprendre et savoir ce qu’il se passait dans sa tête, dans son ventre. Ses yeux se remettaient à briller, il inclina la tête sur le côté comme le fit Christos :

« - Moi, je me sens plus sale que je ne le suis déjà. Je me sens… Mal. Je dois vous avouer que, j’étais heureux, de le voir tomber en me suppliant du regard, s’accrochant à moi comme si je pouvais encore l’aider et qu’il n’était pas trop tard. Mais je… Non. C’était trop bon de le voir à genoux face à moi, le sentir souffrir et crever contre moi. ».

Il lâcha un petit rire méprisant en tendant les mains, paumes vers le ciel avant de continuer :

« - Maintenant… Je regrette. Est-ce humain de regretter la mort de quelqu'un ? Je n’ai pas le droit. Je n’ai pas le droit, moi, romain et esclave, de décider de la vie ou de la mort d’un autre. Peut-être… Peut-être que j’aurais dû le laisser faire. Ne pas me plaindre. Ne pas me rebeller et céder. J’aurais dû continuer. Continuer à être le « bon et gentil » Dorian Fabius. Peut-être même aurait-on loué mes services. Je ne serais peut-être pas aussi pauvre après tout. ».

Le romain baissa la tête en se mordant la lèvre inférieure. Il n’allait tout de même pas se remettre à chialer juste en face de lui ?! Tenir bon. Jusqu’au bout. Il déglutit difficilement en laissant retomber ses bras contre son corps frêle. Ses lèvres le brûlaient. Sa gorge s’enflammait. Et pourtant, il continua à parler comme jamais il ne l’avait fait :

« - Si vous saviez… Si vous saviez les erreurs que j’ai fait. La première, et peut-être la plus horrible de toutes ; celle de naitre. Je ne vous demande pas de me comprendre… ».

Dorian plongea sa main dans la petite poche du tissu qui lui servait de pantalon pour y prendre les trois drachmes que le maitre lui avait donné. Il soupira lorsque ses doigts touchèrent les pièces. Il n’osait pas attraper la main de Christos et lui rendre l’argent. Déjà que le regarder lui brûlait les yeux, le toucher, il n’envisageait même pas l’effet que cela pouvait produire. Peut-être que sa main se serait décomposée ou se serait éparpillée en tas de cendre. Il ne préféra pas essayer. Les drachmes sortis, il les posa sur le rebord de la fontaine :

« - Quitte à ce que je meurs, autant que cet argent ne pourrisse pas avec moi. ».

Dents et poings serrés, il fit volte-face en ajoutant :

« - Ne vous inquiétez pas. Je suis plus fort que j’en ai l’air. Je ne tomberais plus. Je ne me battrais plus. J’accomplirais ce pourquoi je suis ici ; obéir. ».

Obéir. Et rentrer. C’est tout ce qu’il devait faire désormais.

[ ou pas ! T'inquiète ta réponse est géniale ; comme toujours xD ♥ ! ]
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Christos Anthony.
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[T] Comptes à rendre. [Dorian] Vide
MessageSujet: Re: [T] Comptes à rendre. [Dorian]   [T] Comptes à rendre. [Dorian] EmptyMar 2 Nov - 0:41

    Christos avait tué, c’était un fait. Cependant, Dorian posa une question qui méritait réflexion. Quels sentiments l’étreignaient, lorsqu’il ôtait une vie ? Parfois, il apercevait à peine le visage de son ennemi, ou il ne voulait pas y prêter attention. Juste du vide, peut-être. De l’indifférence. Il n’en avait, sincèrement, aucune idée. Il ne connaissait pas ceux qui tombaient à ses pieds, des pères, des fils, des frères… À ses yeux, la guerre n’était qu’un chacun pour soi. L’athénien ne put soutenir le regard interrogateur de son esclave. Ce dernier attendait une réponse qui pourrait sans doute soulager sa conscience, mais comment lui expliquer qu’il avait à peine conscience de ces meurtres entre guerriers ? Qu’il se saoulait le soir même, en compagnie des autres soldats ? Il paraîtrait encore plus froid et insensible qu’il ne l’était déjà. Christos n’éprouvait ni honte ni regrets, le sang qui lui avait giclé à la figure le dégoûtait physiquement, sans l’atteindre moralement. Il ne se sentait pas non plus puissant, ou supérieur pour autant. Pas plus qu’envers Dorian. Ce n’était pas la même situation… Les soldats, sur le champ de bataille, étaient égaux entre eux, avec un seul but : rentrer, vivant, si possible en un seul morceau. Le grec se mordit les lèvres, tenté de répondre par un grognement afin que la conversation ne suive pas. Seulement, n’était-ce pas lui qui avait poussé, involontairement, le romain dans cette galère ? Il aurait dû éviter de jouer avec ses remarques cyniques et ne pas donner suite. Christos écouta attentivement les paroles de Dorian, en lui accordant parfois un coup d’œil désolé et… compréhensif. Cette déclaration ne l’étonnait pas. Non pas que l’esclave était prévisible, dans ses réactions, mais il était honnête. Il n’était pas un meurtrier refoulé, avec des pulsions violentes ou que sais-je encore. Non, rien de tout cela. Le regard de l’athénien s’assombrit légèrement, au fur et à mesure du discours du jeune homme. Il s’en voulait. Affreusement. Il avait l’impression de l’avoir puni trop lourdement, humilié comme jamais. Les mots lui écorchaient les oreilles, lui frappaient les temps. Il n’avait pas honte d’avoir tué. Il avait honte d’avoir poussé à tuer. Christos déglutit. Il y avait sûrement quelque chose d’excitant dans la vengeance, la fierté d’être supérieur, une puissance qui nous était alors étrangère, l’idée de narguer les dieux, de leur hurler qu’ils n’étaient pas les seuls à avoir le droit de vie et de mort. Il se racla la gorge, sans ouvrir la bouche. Il écoutait, suspendu aux paroles de Dorian.

    Si la première partie l’intéressa, avec ces histoires de regrets et de droit, la seconde l’obligea à lever les yeux au ciel. Se dénigrer ! Encore. Il préféra ne pas relever pour le moment, et attendit qu’il termine. Christos avait beau être un humain absolument détestable, il aurait eu assez de bon sens pour éviter le pire, ou du moins, essayer de l’éviter. D’une part, parce que Dorian lui avait coûté plus d’un bras. D’une autre, parce qu’il n’aurait pas supporté d’être responsable, indirectement, d’une seconde mort… Une suffisait amplement. Une partie du grec appréciait le romain. La partie qui refusait la solitude et le poids des erreurs passées. Mais elle était infime… Quasiment inexistante, même. Il ressentait presque de la compassion pour Dorian, depuis « celle de naître ». Choqué par cette révélation, ses yeux se plissèrent d’incompréhension. Christos observa le romain tourner les talons, avec les sourcils froncés. Il récupéra l’argent et attrapa brutalement le poignet de son esclave, déjà prêt à repartir. Il ne lui demanda même pas de lui tendre sa main, il le força juste à reprendre ces malheureuses drachmes. « Tu prends ça, ordonna-t-il sèchement. Si tu les refuses, ce sera le fouet. Le bon et gentil Dorian Fabius, comme tu dis, va prendre cet argent, sans jouer les victimes, en gage de ses services rendus. Et si cet argent doit pourrir avec toi, ainsi soit-il. C’est incroyable ! C’est la première fois qu’un homme refuse d’être payé… » Il lâcha le bras de Dorian et se mit, à son tour, en route. Il n’avait toujours pas répondu à ses questions, d’ailleurs… Même s’il pouvait s’y soustraire, il décida de prendre son courage à deux mains. Le jeune homme avait été franc avec lui, et il avait montré sa loyauté. Le fils de Pallas soupira, conscient que s’il ne maîtrisait pas ses propres confessions, l’amphore pouvait déborder. « Pendant la guerre, je ne sais pas trop ce que je fais à part préserver ma vie. Tuer un homme ou un autre, c’est pareil. Tu ne le connais pas, tu ne sais pas s’il le méritait ou pas… J’ai décidé d’arrêter de me poser la question. Je sers ma cité, et je rentre chez moi si les dieux me le permettent. Et le soir, je suis trop saoul pour me souvenir de quoique ce soit. » Marmonna-t-il en accompagnant ses dires d’un rire nerveux. « Certains se détestent parce qu’ils sont obligés de tuer des innocents. D’autres font ce qu’ils ont à faire. » Il se tut, puis posa un regard amer sur ses mains.

    « Je ne sais pas si je peux te comprendre, mais naître aussi, c’est douloureux par moment. C’est la vie, les dieux décident. » Christos haussa les épaules. Se ramasser, souffrir… Personne ne pouvait passer au travers. L’esclave ou l’homme politique, peu importe. En naissant, il avait condamné sa sœur et s’était condamné lui-même, dans une vie qu’il haïssait. Une vie de pauvre, avec un quotidien banal, monotone, et peuplé de fantômes qu’il ne parvenait pas à oublier. Cependant, le grec était curieux de savoir pourquoi Dorian avait jugé sa naissance comme une erreur. Avait-il eu une vie misérable, avant celle-ci ? Pire, même ? Ce larbin, comme l’avaient craché les mauvaises langues, était un personnage plus mystérieux qu’il n’y paraissait. « Tuer n’est pas un droit, c’est une pulsion, un désir, un accident… Tout sauf un droit. C’est moi qui te le dis… » Souffla-t-il, dans un murmure à peine audible. Ces réflexions philosophiques firent apparaître un rictus sur son visage inflexible. « Ne te torture pas l’esprit. Tu ne peux pas revenir en arrière, alors… C’est une pourriture de moins. Si jamais on te pose des questions, ne fonds pas en larmes en gémissant des (Christos prit une voix suraiguë.) ‘C’était un accident !’. Ces types sont mal vus. Tu les as amputés d’un idiot, tu ne penses pas qu’il y a pire à se reprocher ? Regarde, tu aurais pu me tuer. Là, je t’en aurais voulu. » Ajouta-t-il en essayant de détendre l’atmosphère. Son bras tressaillit, bien parti pour donner une tape amicale dans le dos de Dorian, mais il n’en fit rien. C’était un esclave, pas un ami. Quoique… Non. Ce n’était pas un ami. Parler de la mort lui retournait l’estomac. Par Zeus, ce qu’il avait envie de hurler ce secret, d’exorciser, une fois pour toutes, cette culpabilité qui lui pourrissait la vie… Répondre à ces questions avait réveillé cette rage, cette haine qu’il éprouvait contre lui-même, cette honte. Ce que Dorian avait évoqué. Il était indifférent à la mort des autres parce qu’il ne se remettait pas de la première. Seulement, même si le romain avait gagné sa confiance, il ne pouvait se résoudre à lui confier cette horreur. Qu’il soit foudroyé sur place si jamais cette confession venait à sortir de sa bouche ! Son sourire bien vite perdu, Christos traîna des pieds jusqu’à sa bâtisse, l’œil étrangement hagard. Si l’esclave venait encore à se remettre en question sur le sens de la vie et de la mort, de l’assassinat, de cet homme qui ne tarderait pas à se retrouver sous terre, il était capable d’exploser. Il pouvait en parler quelques minutes, juste quelques minutes.

    « J’aimerais qu’on s’arrête là. » Il tourna à peine la tête, embarrassé. Le sang lui montait aux joues. Il se sentait mal, nauséeux. Alors que la distance entre la modeste demeure et leurs pas se rétrécissait à vue d’œil, la gorge de l’athénien s’asséchait. Il avait pourtant bu. Le soleil avait atteint son zénith et alourdissait la cité de chaleur, à moins que ce ne soit ses humeurs qui le fassent transpirer… Ils ne franchiraient pas le seuil de la maison de la même manière qu’ils l’avaient quittée, dans la matinée. Christos avait conscience que Dorian ne dormirait plus sur ses deux oreilles désormais. Un frisson secoua son échine, tandis qu’ils approchaient de la porte tant convoitée. Quel idiot ! S’il ne s’était pas réveillé, il n’en serait pas là. Il regarderait toujours son esclave avec une supériorité qu’il ne méritait pas, et il ne se poserait pas toutes ces questions. Il ne serait pas partagé entre ce désir de révéler la vérité à quelqu’un et se taire devant un crime qu’il avait quasiment forcé à commettre. Après tout, Dorian n’avait pas demandé à devenir le bouc-émissaire de ces imbéciles de gymnètes… L’athénien s’arrêta, la tête basse. « Je… Je ne peux pas te laisser comme ça. » Murmura-t-il. Les révélations allaient-elles pleuvoir ? Lui-même se le demandait. « Je le connaissais. Sa famille, c’était cette bande. Je suis vraiment désolé, je le pense. Alors, si ça peut… » Il se redressa, pour planter son regard dans celui du romain. « Cette matinée n’a pas lieu d’être, d’accord ? Tu n’as rien fait, tu n’es pas sorti d’ici. Tu vas me dire que c’est facile à dire, mais je ne te demande pas ton avis. Si on demande quoique ce soit, ce sera de ma faute. La mienne, tu entends ? » Finalement non, il n’avait rien dit. Parce qu’il n’y avait rien à dire, au fond. Il inclina la tête, l’air entendu. Les yeux de Christos, habituellement froids, imploraient l’esclave de lui obéir, d’oublier, d’effacer. Cette matinée n’avait pas lieu d’être, se répéta-t-il mentalement. Il ne s’était rien passé. Cependant, le soldat s’était surpris lui-même, avec cette supplique pour le moins… étrange. Se laisser accuser à la place de son esclave ne lui ressemblait pas. Pas du tout même. Il sentait qu’il avait une dette envers Dorian. Celui-ci aurait pu prendre ses jambes à son cou, il avait préféré rester et défendre un maître qui ne le méritait pas. Une belle marque de loyauté… ou de soumission. Là encore, l’athénien se poserait la question. Qu’est-ce qui avait poussé le romain à rester et à brandir ce glaive, dont il ignorait le maniement ?

    Après un coup d’œil appuyé, Christos emprunta une nouvelle ruelle afin d’atteindre leur porte. Ils étaient maintenant loin de l’Agora, loin de la foule, loin des murmures, et loin des ennemis… Il avait l’impression de revenir de guerre. Toutefois, alors que sa main abîmée se posait contre la porte, il se retourna une dernière fois vers Dorian. « Moi, il ne m’arrivera rien. Alors n’hésite pas : je suis le fautif. Toi, tu n’as absolument rien fait. » Mets-toi ça dans le crâne, et ne cherche pas à comprendre.
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